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bien tard alors pour changer de conduite et renoncer à ses goûts. On les quitte de mauvaise grâce, ou même on essaie de les garder. La punition de ceux qui se sont trop attardés dans la jeunesse c’est de ne savoir pas vieillir.

Ovide du moins essaya de se résigner à son âge. Après l’Art d’aimer, il changea de ton et voulut écrire des ouvrages plus sérieux. Ce n’était pas la première fois qu’il tentait de le faire. Comme il ne doutait de rien, quand il était jeune, la gloire d’Homère l’avait séduit. Il raconte qu’il avait commencé un poème épique sur la guerre des dieux et des géans ; la grandeur du sujet le transportait, et il était plein d’ardeur. Malheureusement Corinne se fâcha : elle voulait son poète pour elle seule et ne consentait pas à le partager même avec les dieux. « Comme je ne parlais plus que d’orages, de foudres lancées par Jupiter pour défendre le ciel, ma maîtresse me mit à la porte ; moi je renvoyai au plus vite Jupiter et sa foudre ». Quand le règne de Corinne fut passé, il revint naturellement à ces poèmes mythologiques, pour lesquels il s’était senti toujours un goût décidé. Cependant sa conversion fut moins complète qu’il ne le croyait : en changeant de sujet, il ne changea pas de méthode, et même est-il vrai de dire qu’il ait changé de sujet ? Lorsqu’il prenait si tristement congé de Vénus au quatrième livre des Fastes et lui demandait pardon de la quitter, Vénus aurait pu le rassurer : il ne cessait pas de lui être fidèle. Quoi qu’il entreprenne, ses anciennes habitudes le dominent, il est toujours « le chantre des amours légers ». S’il nous introduit dans l’Olympe, ce n’est que pour nous en raconter les histoires scandaleuses. Les efforts qu’il fait pour devenir plus grave lui réussissent médiocrement, et il ressemble à ce bon Sylvain, un dieu très galant, dont il nous dit qu’il était toujours un peu plus jeune que son âge.

En même temps qu’il essayait d’écrire des ouvrages plus importans, il réglait sa vie d’une autre manière. Ce n’est pas qu’il fût devenu plus ambitieux : il se connaissait assez pour ne pas souhaiter une position politique ; mais, à mesure qu’il était forcé de renoncer au plaisir, il prenait plus de goût pour la considération. Dans sa jeunesse, il avait surtout vécu avec les poètes et les gens de lettres ; en vieillissant, il se rapproche des grands personnages et fréquente même le Palatin. Ici encore le changement était moins grand en réalité qu’en apparence. La place qu’il prit dans cette société nouvelle était la même à peu près que celle qu’il occupait dans l’autre. On voit bien, quand on étudie les causes de son exil, qu’il resta pour ces grands seigneurs le poète des Amours et de l’Art d’aimer. C’est à leurs divertissemens surtout qu’il prenait part, et il fut moins pour eux un ami dont on s’honore qu’un compagnon et qu’un confident d’aventures légères. Il a plus tard amèrement dé-