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croire qu’avec lui la république rentrait dans la légalité, d’où elle était sortie depuis César, et que l’ancien ordre de choses recommençait ; il se donnait ouvertement pour l’héritier légitime et le continuateur du passé. C’était une étrange prétention, et l’on se demande quelquefois comment des gens qui se souvenaient de Pharsale et qui avaient vu Philippes pouvaient l’accepter. L’histoire nous montre qu’ils ont été très complaisans pour elle. Auguste avait eu le courage de renier ses premières années, il eut l’habileté de les faire oublier : c’est certainement sa plus grande victoire. Il laissa maudire autour de lui tous les attentats auxquels il devait son pouvoir. Son poète favori, Virgile, précipitait dans le Tartare « ceux qui avaient pris part aux guerres civiles et qui s’étaient battus pour donner un maître à leur pays ». On se remit à parler avec honneur du vaincu de Pharsale, et Properce alla jusqu’à insinuer que la bataille d’Actium était la vengeance de la mort de Pompée. En laissant faire l’éloge de l’ancien temps, Auguste voulait pousser ses contemporains à revenir aux anciennes mœurs. Ce moyen lui semblait bon pour donner aux âmes plus d’énergie, plus d’ordre et de régularité à la vie domestique. Il tentait ainsi de rendre à cette société affaiblie par deux siècles de corruption et cinquante ans de guerres civiles le goût de la simplicité, le respect de la religion, l’amour de la famille, toutes les vertus qui font la sécurité du présent et assurent l’avenir.

Malheureusement on ne prescrit pas la vertu par ordonnance, et les mesures administratives ne suffisent pas pour rendre un peuple honnête. D’ailleurs ni celui qui s’était donné la mission de le corriger, ni la plupart de ceux qui l’aidaient dans son œuvre n’avaient acquis par une vie irréprochable le droit de faire des leçons aux autres : il n’était pas possible d’oublier que la jeunesse d’Auguste n’annonçait pas un réformateur des mœurs publiques, et l’on devait être bien tenté de sourire quand on entendait Properce et Horace prêcher l’économie, la tempérance, la dévotion, toutes les vertus de l’âge d’or. Ovide lui-même, toujours prêt à plaire à l’empereur, s’était offert de bonne grâce à faire partie de ce groupe de moralistes officiels, et il avait commencé un poème sur les principales fêtes de la religion romaine. Il est vrai que cet emploi nouveau de son talent l’étonne lui-même. Au début du deuxième livre des Fastes, il rappelle qu’il a chanté les amours avant de chanter les dieux, et il ajoute naïvement : « Qui pouvait croire que j’arriverais là par ce chemin ? » Il y avait donc dans cette entreprise d’Auguste beaucoup d’hypocrisie et de mensonge[1] ; cependant on crut un

  1. Dion rapporte qu’on remarqua beaucoup que les deux consuls qui promulguèrent la loi Papia-Poppœa, si dure contre les célibataires, n’étaient mariés ni l’un ni l’autre.