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supposant même qu’il se soit trompé à l’origine, son erreur ne pouvait pas être bien longue. Quand elle a cessé, quand il a reconnu à quelles relations il était mêlé, quelle conduite s’est-il décidé à tenir ? « Ma seconde faute, dit-il, c’est d’avoir été timide », ce qui signifie je pense, qu’il n’a pas osé parler ; il n’a rien dit ni aux jeunes gens pour les ramener au devoir, ni à l’empereur pour lui révéler leur crime. Il avait peur, et ce n’était pas sans motif. Sa position était pleine de périls. Son silence l’a perdu, il pouvait se perdre en parlant. D’ailleurs à ce moment il était engagé lui-même. Ses premières complaisances n’étaient peut-être pas coupables : insensiblement elles l’étaient devenues. Une faiblesse en amène une autre dans ce commerce de tous les jours, et elles s’enchaînent si bien ensemble qu’il est difficile de dire à quel moment précis on devient criminel : « Vous me pardonneriez, dit-il, si vous connaissiez toute la suite et l’enchaînement de mes malheurs ». On devine à peu près quel genre de services il pouvait rendre. C’était sans doute un de ces confidens d’amour qu’on introduit volontiers dans les liaisons les plus intimes pour rompre de temps en temps le tête-à-tête lorsqu’il pèse. Personne ne devait savoir aussi bien que ce poète et ce bel esprit égayer un entretien et animer une fête galante. Il faut croire qu’il poussait assez loin son obligeance, puisqu’il éprouve le besoin de la justifier. Il reconnaît qu’elle était blâmable, mais il s’empresse d’ajouter qu’au moins il n’en a jamais tiré aucun profit. Cette aventure, dans laquelle il s’était si étourdiment engagé, finit d’une manière violente. Les deux amans, dans l’emportement de leur passion, oublièrent d’être prudens. Il dut y avoir quelque orgie plus folle, plus bruyante que les autres, peut-être une scène comme celle de la tribune et du Forum, qui avait amené le châtiment de la première Julie. Ovide, pour son malheur, y assistait. Si l’on en croit ses protestations, il ne savait rien d’avance, il ne se doutait pas de ce qui allait se passer. Il ne prit aucune part directe à la fête et n’en fut que le témoin. Comme Actéon, il avait vu ; c’était son seul crime : il y en avait bien assez pour le perdre.

L’affaire fit du bruit. Rome, selon Tacite, était une ville où tout se savait et se disait, in civitate omnium gnara et nihil reticente. Quelques-uns des témoins parlèrent ; Ovide, qui se trouvait être un des plus connus, fut aussi le plus compromis. Peut-être les autres l’accusèrent-ils pour se justifier. « Ai-je besoin, dit-il, de rappeler le crime de mes compagnons et de mes serviteurs ? » Fabius Maximus, un de ses protecteurs, l’apprit comme les autres. Il essaya d’obtenir de lui un aveu et lui fit comprendre le danger qu’il courait : « J’avouais timidement, dit le poète, ou j’essayais de nier, et, semblables à la neige qui fond au souffle humide de l’auster, des