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où il avait entrevu pour un moment toutes les élégances de la vie et tout l’éclat de la civilisation, on comprend combien cette pauvre ville de Scythie lui semblait déserte et misérable. C’est alors que son courage l’abandonnait et qu’il disait avec désespoir : « Je n’ai plus de cœur qu’à pleurer ».

Ovide passa huit ans entiers à Tomi. Il eut le temps d’apprendre la langue du pays, et, comme il était un poète incorrigible, il finit par faire des vers sarmates. Les habitans, tout barbares qu’ils étaient, furent flattés d’avoir conquis un si grand écrivain, et ils le comblèrent de distinctions. Le sénat et le peuple de Tomi[1] lui accordèrent l’immunité de toutes les charges ; les villes voisines suivirent cet exemple. On lui décerna même une couronne de lauriers, et il nous dit qu’il ne l’accepta qu’à regret. C’est qu’il songeait sans doute à d’autres triomphes plus retentissans dont il était privé. Les années s’écoulaient sans que rien pût guérir ce cœur blessé ; jusqu’à la fin il eut les yeux fixés sur la ville « qui des sept collines regarde à ses pieds l’univers soumis ». Il ne se résigna jamais à ne pas la revoir. Les mécomptes qu’il avait subis ne l’empêchaient pas d’espérer. Il prétend qu’au dernier moment son ami Fabius Maximus avait réussi à fléchir Auguste ; mais Fabius, victime d’une intrigue de cour, fut obligé de se tuer, et Auguste ne lui survécut que peu de temps. Ovide s’empressa d’élever un temple au dieu qui venait de mourir, et de chanter ses louanges dans un poème gète ; puis, après s’être mis en règle avec l’empereur défunt, il se tourna vers l’empereur nouveau et recommença ses supplications. Il connaissait pourtant Tibère, et il devait savoir ce qu’on pouvait espérer de sa clémence. Aussi trouve-t-on parfois dans ses derniers vers un accent de sombre résignation qui ne lui est pas ordinaire. « Pardonnez-moi, mes amis, si j’ai trop compté sur vous ; c’est une faute dont je veux enfin me corriger… Je suis venu dans le pays des Gètes, il faut que j’y meure, et que mon destin s’achève comme il a commencé. Que ceux-là s’attachent à l’espérance qui n’ont pas toujours été trompés par elle. Quand l’espoir n’est plus permis, le mieux est de savoir désespérer à propos et de se croire une fois pour toutes irrévocablement perdu. Il y a des blessures qui s’enveniment par la peine qu’on prend pour les guérir ; il valait mieux n’y pas toucher. On souffre moins à périr englouti tout d’un coup dans les flots qu’à les fatiguer d’un bras impuissant ». Mais ce ne sont que des éclairs ; au fond du cœur, il s’obstinait à espérer, et après quelques momens de découragement il se

  1. C’est la façon ambitieuse dont les magistrats municipaux de Tomi sont désignés dans une inscription du temps d’Hadrien.