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qui s’opère ; il ne faudrait pas cependant attendre des réponses faites de bien vives clartés. Tout un côté de la question ; celui-là précisément qui touche de plus près à l’existence des masses, ne peut guère se révéler dans une enquête administrative. La solennité même devient une cause d’embarras et d’équivoque. C’est toujours chez le métayer, c’est dans son étable, dans sa grange, dans ses champs, sur les marchés où il conduit son bétail, qu’il convient surtout de chercher des élémens d’information. Sur les rapports entre le propriétaire et le tenancier, les observations ne peuvent jamais être ni trop immédiates ni trop dégagées de tout apparat. Le moment ne saurait donc être plus opportun pour considérer le sujet en lui-même, surtout quand on l’envisage dans un cadre où il apparaît aussi nettement avec ses traits natifs que sur le sol périgourdin.

Le point central de nos observations, nous le prenons au milieu d’un vaste domaine livré depuis des siècles au métayage ; le domaine de Michel Montaigne. Sur ce terrain, autour de l’antique château où l’auteur des Essais est né et où il est mort, où il s’était retiré à l’âge de trente-huit ans, « ennuyé déjà depuis longtemps de l’esclavage de la cour et des charges publiques, » et où il a composé son livre immortel, la question spéciale que nous avons en vue se mêle à des souvenirs et à des circonstances singulièrement propres à piquer la curiosité. Et d’ailleurs, pour l’étude des phénomènes qui se rattachent au métayage, je n’aurais pu, quant à moi, trouver nulle part d’aussi favorables conditions. D’inappréciables facilités m’étaient offertes par le propriétaire actuel du château de Montaigne, M. Magne, mon hôte, souvent dans mes recherches mon conseil et mon guide. Pour étudier les plus lointaines traditions de l’exploitation des champs, j’ai trouvé sous son toit toutes les publications contemporaines ayant trait à l’auteur des Essais, à sa famille et à son domaine. En outre les pièces inédites ne lui faisaient pas défaut : anciens titres de propriété, baux remontant à plusieurs siècles, d’autant plus propres à élucider le problème que l’aspect des choses a moins changé dans ces régions.

Ces renseignemens, si complexes dans leur origine, quoique dirigés vers un but unique, nous permettront de faire bientôt connaissance avec le pays même, avec le caractère et les habitudes des métayers périgourdins ; mais tout d’abord, puisque nous sommes à Montaigne, on ne nous reprochera point de fixer un moment nos regards sur cette illustre demeure encore toute remplie des traces de son ancien possesseur, et où tant de traits répandent de précieuses clartés sur la physionomie générale de la province. On n’en saisira que mieux ensuite l’état dans lequel nous arrive à travers