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hautement contre tout système d’organisation militaire qui retarderait pour les garçons l’époque du mariage. Le pays où nous sommes atteste d’ailleurs à un autre point de vue que les mariages précoces contribuent puissamment à conserver les mœurs : les enfans naturels y sont rares. L’opinion commune attache à certaine faute l’idée d’une déchéance morale irréparable.

On s’aperçoit qu’il ne faudrait pas juger des ménages du pays de Montaigne par quelques boutades des Essais. Lorsque l’auteur dit quelque part « un bon mariage, s’il en est, » ou bien : « J’aurois fuy d’espouser la sagesse, quand mesme elle l’auroit voulu, » ce n’est pas à autrui qu’il pense, c’est à lui-même ; on devine à ce langage qu’il n’avait pas été parfaitement heureux avec sa femme, Mlle de Chassaigne, quoiqu’il en ait eu cinq filles ; mais Montaigne se fût-il trouvé mieux d’une autre alliance ? Il est permis d’en douter : non pas que le goût de la méditation doive rendre insensible aux joies et aux épanchemens de la famille, le cœur n’abdique pas si facilement ses droits ; mais l’erreur de Montaigne vient d’un vice d’éducation trop commun parmi les contemporains de Brantôme : il n’avait compris, comme en témoignent cent passages des Essais, ni la dignité de la femme ni le dévouement de la mère.

Tout cela cependant ne l’empêchait pas d’admirer les habitudes de la population rurale dont il était environné, lui qui disait si bien : « Les païsans simples sont honnestes gents. » Or ces honnêtes gens regardent ici le mariage comme un état naturel à l’homme aussitôt qu’il atteint l’âge viril. Ils y voient une étroite communauté des intérêts aussi bien que des sentimens. On ne connaît pas parmi eux le régime dotal.

Ils ont d’ailleurs conservé des coutumes religieuses qui contribuent à fortifier leur moralité. Dans ce pays où deux cultes sont en présence et souvent en contact, il ne se mêle à la piété aucune intolérance. Comme au temps de Montaigne, les catholiques et les protestans sont rapprochés par mille rapports journaliers ; mais ils vivent aujourd’hui en meilleure harmonie qu’au XVIe siècle. Le philosophe ne pourrait plus écrire, par allusion aux querelles de son temps, que sa demeure « est assise dans le moïau de tout le trouble des guerres civiles. » Si dans certaines circonstances politiques la religion sert encore parfois de prétexte à des résolutions radicalement opposées, le cours ordinaire des intérêts ne révèle pas la moindre apparence de division et d’antagonisme. On voit même sans aucun ombrage les fonctions municipales occupées par un homme d’un culte différent du sien. A Montaigne, par exemple, où la grande majorité de la population est catholique, le maire est protestant, et certes on ne hasarde rien en affirmant que, s’il était