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métayage contemporain, c’est-à-dire le métayage approprié aux nécessités du temps actuel.


III

En prenant le métayage tel qu’il vient de se montrer à nos yeux dans le Périgord, avec ses vices traditionnel ses entraves présentes, son immobilité, il n’est personne qui puisse en souhaiter le maintien pur et simple, il n’est personne qui puisse contester la nécessité d’une réforme. Et d’ailleurs, en face du flot montant des nécessités économiques de l’époque, tous les efforts employés pour l’empêcher seraient frappés d’une inévitable impuissance. Cependant l’idée de détruire de fond en comble le système existant pour le remplacer par un autre ne serait ni moins téméraire ni moins impraticable. Est-il bien sûr que, dans les vastes contrées où il s’est depuis des siècles profondément enraciné dans les mœurs, une telle substitution, opérée à la hâte, offrirait le meilleur moyen de tirer parti des ressources du territoire ? Rien ne prouve qu’il en serait ainsi.

Que pourrait-on essayer ? Le métayage aboli, il n’y aurait plus à choisir qu’entre le bail à ferme et la culture directe pour le compte du propriétaire. Eh bien ! pour le premier des deux procédés, le bail à ferme, l’élément indispensable fait totalement défaut. Qu’avons-nous rencontré tout à l’heure dans la région parcourue ? Des laboureurs dénués de toute avance, de tout capital, ne possédant pas même les outils dont ils se servent. Or point de capital, point de fermier. Qu’on puisse varier, qu’on ait souvent varié d’opinion sur la somme nécessaire pour prendre un bail à ferme, c’est tout simple : il y a nécessairement là une marge pour des évaluations diverses. Ainsi en Angleterre, d’après M. Hippolyte Passy dans son livre sur les Systèmes de culture, on estime communément que, pour bien conduire une exploitation, un fermier doit y pouvoir mettre environ dix fois le montant même du prix de son loyer. Donc, pour une ferme de 10,000 fr ; , c’est un capital de 100,000 fr. qu’il faut avoir en bestiaux, matériel, engrais, provisions, etc. En France, d’ordinaire on se contente d’un chiffre moindre, et pourtant c’est à peine si dans nos régions où le fermage est le plus prospère on juge qu’un cultivateur soit suffisamment pourvu, s’il ne possède que six fois, la valeur annuelle de sa location. Souvent on préfère dire que le fermier a besoin d’un capital d’au moins 500 ou 600 fr. par hectare ; c’est là un autre mode d’estimation qui aboutit à des résultats à peu près identiques[1]. Le fait est que le fermage n’a plus de

  1. On calcule ainsi dans des contrées où l’hectare se loue 80 fr. par an, ce qui, sur la base de cinq on six fois la valeur, donnerait un capital de 480 à 580 francs.