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partout frappés de l’existence d’un mal qui certes ne date pas d’aujourd’hui, mais qui a pris sous nos yeux des proportions jadis inconnues. Je veux parler d’un certain alanguissement des caractères, d’une certaine répulsion pour le travail se propageant de plus en plus parmi la jeunesse aisée, parmi les fils des propriétaires, et dont les sinistres effets, se font surtout sentir dans les contrées de métayage, où le possesseur du sol est obligé plus qu’ailleurs de payer de sa personne. Si l’on pénètre dans l’intimité des familles, rien de plus commun que d’y entendre des plaintes au sujet de jeunes gens à peine échappés des maisons d’enseignement qu’ils ont traversées sans profit, et qui semblent pressés de dissiper les épargnes paternelles dans une vie d’oisiveté, d’incurie, de plaisir ou de désordre.

Or un tel affaiblissement moral, qui pousse, soit dit en passant, plus qu’aucune autre cause à la dissémination de la propriété territoriale, tend à paralyser dès à présent les essais de réforme dans le métayage. Le meilleur remède, on le trouvera dans une extension systématique et dans une activité soutenue de la vie publique, dont le propre est de seconder l’essor de nos facultés supérieures. L’esprit a besoin de grand jour ; en élargissant les perspectives devant l’individu, la vie publique crée des stimulans d’une incomparable énergie. On doit souhaiter encore, dans la même intention, de voir réduire ce que j’appellerai le domaine de la faveur, ou, si l’on veut, la croyance si généralement répandue aujourd’hui que la faveur décide le plus souvent du succès : allusion, non aux fonctions publiques seulement, mais aux avantages de toute nature que le gouvernement tient dans sa main, et qu’il a mission de répartir entre les localités et les individus. Qu’il soit difficile d’imaginer une influence plus énervante qu’une pareille opinion, personne n’en saurait disconvenir. Il n’y a d’autre moyen de la combattre que de restreindre les applications du pouvoir purement gracieux en établissant le plus possible des règles fixes et des conditions générales.

Dès qu’il est surabondamment démontré que l’active intervention du propriétaire est indispensable pour la réforme du métayage, il devient manifeste à tous les yeux que la question touche à ce germe intime et fécond que forment au dedans de nous l’amour du travail, le goût de l’étude, l’esprit d’entreprise. Or c’est l’espérance du succès que peuvent conquérir le mérite et le courage qui provoque et vivifie les efforts. Il reste ensuite aux chefs de famille a compléter l’œuvre par une éducation qui ne puisse laisser le droit à leurs fils de répéter plus tard ce mot amer de Montaigne : « on nous apprend à vivre quand la vie est passée. »


A. AUDIGANNE.