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en a souvent vu le matin, à Rome, vers le mois d’octobre ? A la place de ce paysage sans grandeur et sans beauté qui, avec ses longues lignes droites, ressemble trop à un dessin linéaire, pour quoi n’avoir pas fait circuler la mer, une mer paisible, de cette nuance indécise entre le vert et l’indigo que les poètes ont appelée céruléenne, et qui se serait si bien mariée à l’azur du ciel ? On aurait eu alors une harmonie générale très forte qui aurait servi de point d’appui aux deux personnages, dont la coloration et la lumière auraient pu être poussées aussi loin que possible. Tout alors, le chasseur, la jeune fille, le terrain, se seraient détachés avec bien plus de netteté dans un air ambiant qui aurait fait valoir leurs fins contours et aurait accentué leur tonalité. Le défaut principal du tableau est dans les rapports des nuages blanchâtres avec le visage trop foncé du jeune homme ; l’effet est sombre et triste : avec une tête éclairée et un ciel de cobalt, tout eût été vivant. Néanmoins et malgré ces observations, qui n’atténuent en rien ce que j’ai dit du talent de M. Lévy, on peut concevoir maintenant les plus sérieuses espérances ; l’artiste qui, parti de la Vénus ceignant sa ceinture, est arrivé au tableau du Vertige, qui en moins de quatre années a su parcourir un tel chemin, doit tôt ou tard être appelé à jouer un rôle important dans l’école française, qui, plus que jamais, a besoin de bons exemples et de bonne direction.

L’art est-il donc une échelle double ? Pendant que M. Emile Lévy monte d’un côté, voici de l’autre M. Isabey qui descend. Il y a précisément vingt ans aujourd’hui qu’il exposait au Salon de 1847 une Cérémonie dans l’église de Delft. C’était une révolution dans sa manière, et cette toile jeta un vif éclat sur sa renommée. Qui ne se souvient de cette merveille, de cette symphonie de la couleur et du dessin ? Jamais femmes plus charmantes n’avaient encadré de plus fins visages dans la fraise godronnée, jamais cavaliers plus élégans n’avaient retroussé leur moustache. Toutes les figures avaient été traitées avec amour, nul détail n’avait été négligé, chaque expression était exacte, la souple habileté de crayon luttait avec la richesse d’une palette éblouissante qui ressemblait à l’écrin des péris. Pourquoi tout cela n’est-il plus qu’un souvenir, et pourquoi n’en retrouvons-nous rien aujourd’hui dans les tableaux de M. Isabey ? L’Épisode de la Saint~Barthélemy, auquel on a fait les honneurs du grand salon, est à peine une ébauche ; si à distance cette petite toile peut produire une certaine illusion à cause de la violence de la coloration, elle devient absolument indistincte et confuse lorsque l’on s’en approche, et ressemble à un panneau sur lequel on aurait crevé des vessies au hasard. Les têtes ne sont même pas indiquées, les draperies n’ont point de contours ; c’est un mélange de nuances brutales qui ne signifie rien. Ce peut être une note, un