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indice, un memento pour une composition future ; mais certainement ce n’est pas un tableau, car l’exécution manque. Les peintres se contentent trop souvent de ces sortes d’à peu près, qui peuvent leur être fort utiles et leur rappeler plus tard une conception à mettre en œuvre, mais qui ne devraient sous aucun prétexte être placés sous les yeux du public. En nous montrant ce tableau embryonnaire et informé, M. Isabey semble nous dire : Vous savez ce que j’ai fait jadis ; voici l’ébauche d’une idée plastique, arrangez-la comme vous voudrez. Que dirait-on si des poètes comme Hugo, comme Lamartine, se contentant de leurs chefs-d’œuvre passés, publiaient aujourd’hui des vers sans rime et sans césure ? On les renverrait à l’école, et l’on n’aurait pas tort. Si les maîtres, sans souci de leur gloire, s’abandonnent à de si coupables négligences, quelles observations aura-t-on le droit d’adresser aux élèves qui n’ont pas encore eu le temps d’apprendre leur métier ? Plus l’exemple tombe de haut, plus il doit être sévère, car sans cela il peut porter des fruits dangereux et égarer bien des jeunes esprits. En négligeant les plus simples principes de l’art, en lâchant sa facture d’une manière outrée, en ne recherchant plus qu’un effet confus de colorations désordonnées, M. Isabey semble avoir pris à tâche d’imiter les tableaux de M. Jules Noël. C’est le même papillotage, la même indécision de dessin, la même lourdeur de touches plaquées, la même insouciance pour la justesse des lignes et de la tonalité. Il est temps pour M. Isabey de retourner à ses belles et consciencieuses études d’autrefois, de revenir sur ses pas et de ne plus compromettre par des œuvres hâtives, inachevées, inexcusables, la réputation qu’il a acquise autrefois et qui est une des gloires de notre pays. La première, l’indispensable condition pour un artiste, c’est de respecter son art et de donner à ses travaux toute la perfection dont ils sont susceptibles : cette qualité, qui est considérable, on la rencontre chez M. Amaury Duval.

Il a pu se tromper quelquefois, nul n’est infaillible ; mais par le respect qu’il a toujours témoigné au public il a montré le respect qu’il avait pour lui-même. Toute œuvre qu’il a envoyée aux expositions est sortie de son atelier aussi parfaite qu’il était donné à l’artiste de la rendre ; jamais il n’a cru qu’une ébauche, une esquisse, si intéressante qu’elle fût, pouvait s’imposer à l’attention et tenir lieu des tableaux qu’on est en droit d’exiger d’un peintre sérieux. On sent, à voir ses ouvrages, qu’il a vécu dans la familiarité des maîtres, qu’il a cherché à surprendre leurs secrets, et que, s’il n’a pas leur génie, il a du moins leur conscience. Il a été forgé de bonne heure à la grande école d’où sont sortis les vrais artistes de notre temps ; il fut le disciple soumis de M. Ingres, du premier maître du XIXe siècle, de celui dont la Revue a parlé naguère en