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qui dédaignent ces principes élémentaires ; ils s’imaginent qu’on doit les tenir quittes de toutes les qualités requises pour faire un artiste sérieux lorsque par hasard ils en possèdent une à un degré quelconque. M. Roybet paraît être du nombre de ceux qui sous ce rapport sont peu exigeans pour eux-mêmes. Il est coloriste et coloriste fort remarquable, ceci n’est point douteux ; mais il ne pense même pas à distribuer la lumière sur ses toiles, et se soucie fort médiocrement de la composition. Il représente les premiers personnages venus ; sa grande affaire est de peindre des étoffes, de lustrer des lampas, de faire miroiter des velours et de briser les plis luisans du satin. C’est assez puéril, et la peinture, il me semble, doit se proposer un but plus élevé. Sous le titre d’un Duo, M. Roybet nous montre un palefrenier et une cuisinière du XVIe siècle qui ont volé les habits de leurs maîtres, se sont vautrés sur l’herbe et chantent une ariette avec autant de grâce et de gaîté qu’on chante un De profundis. Les étoffes sont traitées de main de maître, j’en conviens, avec une brosse hardie et des colorations profondes du meilleur aloi ; mais cette grosse commère pansue est assez proche parente des Baigneuses de M. Courbet, et ce chanteur osseux, désagréable et brutal, est le portefaix du coin. De plus toute lumière est absente de ce paysage lourd et ramassé, où l’air ne circule pas, où le ciel est de plomb, où les arbres ont des feuilles de papier brouillard. Je comprends qu’on soit tenté d’étudier Giorgione ; mais vouloir refaire ce qu’il faisait il y a trois cent cinquante ans, d’emblée et du premier coup, c’est peut-être aller un peu vite et prendre le mauvais chemin : il vaudrait mieux dessiner beaucoup d’après le modèle, se persuader que l’homme est le but supérieur offert aux efforts des artistes, donner moins de valeur aux vêtemens et croire qu’un visage humain a plus d’importance qu’un chiffon de soie. M. Roybet a du talent, nul ne le conteste ; on peut dire cependant qu’il en fait mauvais usage, qu’il ne le mûrit pas assez, et qu’il serait un artiste plus élevé, s’il se contentait à moins. Les réminiscences des peintres de la renaissance le tourmentent ; il passe volontiers des Espagnols aux Vénitiens. Il ne leur demande ni leur science magistrale ni leur style excellent, il voudrait surprendre leur adresse de main, leur façon souvent merveilleuse de traiter les accessoires ; il y arrive, il en approche, mais il se paie d’illusion, et au lieu du principal, qui est l’homme, il ne peint guère que l’accessoire, qui est la draperie. Nous avons une plus haute ambition pour M. Roybet ; c’est faire peu de cas des dons naturels que de ne pas les développer jusqu’aux limites du possible, et c’est réduire singulièrement son rôle que de ne pas demander à l’étude l’agrandissement fécond de ses propres facultés. M. Roybet, Croyons-nous, peut être appelé à un avenir sérieux dans l’art