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le Zerafchan (fleuve d’argent) et le Chehr-i-Sebz, qui ont cela de commun, qu’épuisées par d’innombrables saignées faites par les paysans riverains, elles vont finir dans deux petits lacs avant de grossir l’Oxus, vers lequel elles semblent se diriger. Inutiles à la navigation, elles ne le sont pas à l’agriculture, qui atteint sur leurs rives une assez grande perfection. La terre végétale, sans cesse accrue par l’apport alluvial de chaque année, sillonnée par les canaux d’irrigation et par les milliers de ruisseaux qui descendent des montagnes, lutte de fertilité avec les meilleurs sols de l’Asie centrale ; mais, dès qu’on a dépassé Bokhara et Karchi, les montagnes cessent, les dunes et les mamelons arides leur succèdent, les sables ont remplacé les terres noirâtres, les eaux ont disparu : c’est la steppe, l’affreux désert du sable rouge, limite naturelle opposée aux agrandissemens des émirs boukhares aussi bien qu’aux agressions qui peuvent les menacer du côté de Khiva où de la Perse. Cependant la puissance toujours croissante des sultans afghans de Kaboul a fait sentir aux princes de Bokhara la nécessité de s’assurer d’une partie du cours de l’Oxus, et ils ont occupé le long de ce fleuve une ligne de petites villes fortifiées, Termes, Kilif, Chardjui. Ce dernier point les a rendus maîtres de la grande route caravanière entre le Turkestan et la Perse, et par conséquent du transit d’une partie assez considérable de la Haute-Asie.

Toute la principauté mesure cinq mille six cents milles carrés, au rapport d’un savant voyageur russe, M. de Khanikof, qui l’a visitée il y a vingt-cinq ans, et compte deux millions d’habitans, répartis sur cinq ou six cents milles carrés de terres arables. Je crois ces deux chiffres un peu surfaits, le premier surtout. Des quatorze ou quinze villes que comprend la Boukharie, les deux capitales, Bokhara et Samarkande, comptent à elles deux moins de cent mille âmes : les autres sont des amas de quelques centaines de maisons renfermées dans des enceintes délabrées dont les brèches s’élargissent chaque hiver. Grâce à la persévérance qui distingue les populations agricoles et particulièrement les Tadjfcks des bords de l’Oxus, l’agriculture peut passer pour prospère en Boukharie, de même que la sériciculture, qui en est une dépendance ; mais c’est tout. Les prétendues industries du khanat se réduisent à de grossiers tissus de coton qui peuvent, grâce au bon marché, soutenir la concurrence avec les cotonnades de Manchester, et à une très petite quantité de soieries fabriquées par la corporation des Merwis (Persans émigrés de Merw), et qui s’écoulent parmi l’aristocratie indigène. Il y a en Orient un très grand nombre de cités qui ne vivent plus que sur leur passé, que notre ignorance routinière prend aisément pour le présent ; telles sont Ispahan avec ses palais, Chiraz