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prospérer, de lois à soumettre à un parlement ? Le souverain, ombre d’Allah, à qui appartiennent toutes choses, est une sorte d’intendant et d’administrateur de la propriété divine : il a le pouvoir de prélever les impôts les plus exorbitans à la condition d’en affecter une partie au culte et surtout aux ministres de ce culte ; le reste lui apparient de droit et défraie son luxe personnel et celui de ses serviteurs particuliers. Cette façon d’entendre les questions de budget explique pourquoi les souverains de pays musulmans plus qu’à demi ruinés et qui s’épuisent de jour en jour, le schah de Perse, le sultan du Maroc, le vice-roi d’Égypte, sont personnellement les princes les plus riches du monde. Croit-on par hasard que cette richesse ainsi acquise scandalise beaucoup ceux qui en font directement les frais ? C’est plutôt le contraire qui pourrait les scandaliser. A moins d’avoir vécu dans l’intimité des Asiatiques, il est impossible de se faire une idée du mépris inouï où les derniers, sultans de Constantinople sont tombés aux yeux des vrais croyans avec leurs réformes, leur costume européen, leur tanzimat, leur diplomatie, leur liste civile et leurs ministres, et, quand je parle des vrais croyans, je veux dire tout le monde, à l’exception d’un petit groupe de fonctionnaires souvent intelligens, libéraux, dévoués à leur pays, mais sans aucune influence sur les masses, pas même sur la classe aisée d’où ils sont sortis.

S’il en est ainsi chez le peuple turc, qui est à coup sûr le plus honnête et le moins fanatique des peuples musulmans, que peut-t-on attendre de la sauvage Boukharie, où tout semble avoir conspiré pour créer le plus redoutable foyer de fanatisme de ce temps ? La principauté était encore au siècle dernier entourée de nombreux états orthodoxes. aussi puissans qu’elle, et avait d’autant moins d’intérêt à prendre en main la cause de l’islam que cette cause n’était nullement menacée dans le Turkestan, qui d’ailleurs reconnaissait tout entier la suzeraineté religieuse des sultans ottomans en leur qualité de successeurs des califes de Bagdad. Les événemens ont bien changé depuis. Les Chinois ont conquis la petite Boukharie, ils ont même exercé une suzeraineté temporaire sur une partie de la vallée de l’Oxus ; d’autre part, le khan de Khiva, malgré son autonomie apparente, gravite dans l’orbite de l’astre moscovite ; le Khokand, si riche et si florissant, est à moitié conquis, et ce qui est encore libre s’écroule dans l’anarchie ; enfin, pour comble de scandale, le padicha de Roum (de Turquie), cédant aux aux suggestions des Francs magiciens, a perdu par ses innovations tout droit à être le chef officiel de l’islam, et même sur le sol sacré de l’Arabie les hérétiques wahabites ont souillé le tombeau du prophète. Au milieu de tant de malheurs et de défections, Bokhara