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la sienne. A l’aide d’une série de diapasons accordés, M. Helmholtz a pu chercher ainsi les notes favorites du résonnateur buccal[1]. Il résulte de ses délicates expériences que, pour chaque voyelle, pour chaque diphthongue, il y a sur l’échelle musicale des notes privilégiées qui donnent au son sa couleur spécifique et sa pleine valeur. Sans employer l’artifice des diapasons, qui décèlent si bien les notes buccales, écoutez simplement quelqu’un chanter des gammes sur les diverses voyelles, et vous serez surpris de trouver dans la même voix tantôt une si belle sonorité, tantôt tant de maigreur et un caractère si voilé. Pour tirer le meilleur parti possible de l’instrument vocal, on ne devrait chanter sur une voyelle que certaines notes[2].

Si cette théorie est exacte, on comprend qu’on puisse en essayer la reproduction artificielle. Cette tentative avait été faite déjà par un physicien anglais, M. Willis. Prenant un tuyau d’orgue à anche dont il pouvait faire varier la longueur, il en tirait, en allongeant successivement la colonne d’air vibrante, les sons de l’i, de l’e, de l’a, de l’o, de l’u ; mais dans cette expérience on ne faisait point la vraie synthèse des voyelles, on obtenait seulement des effets de résonnance variable sur le son très complexe émis par la languette de l’anche. M. Helmholtz a opéré cette synthèse en mêlant diversement des sons simples, dégagés d’harmoniques. Nous avons déjà dit que les diapasons fournissent le meilleur moyen d’obtenir des notes de cette espèce. Le premier appareil construit par M. Helmholtz portait huit diapasons accordés

  1. Dans ses diverses positions, ce résonnateur s’accorde sur des notes différentes ; qu’un chanteur tienne, par exemple, devant la bouche un diapason qui donne fa2, et qu’il chante une des sous-harmoniques de cette note (c’est-à-dire une note dont fa2 soit une harmonique supérieure) successivement sur a, o, i, u, ou, et on entendra le diapason résonner plus vigoureusement pour ou que pour les autres voyelles ou diphthongues. S’il met devant la bouche un diapason accordé au si bémol de l’octave supérieure (si bémol3), c’est l’o alors qui agitera plus fortement le diapason ; un autre diapason accordé à l’octave du précédent sera plus sensible à l’a. Que conclure de là ? C’est que lorsque le résonnateur buccal prend la forme qui convient à l’ou, il enfle toute note dont fa2 est une harmonique ; quand la bouche s’adapte à l’o, elle enfle tout son qui a si, parmi ses harmoniques ; quand elle donne l’a, la note buccale se hausse encore d’une octave. Pour certaines diphthongues et voyelles, le résonnateur mobile a deux vibrations propres ; pour ai, e, i, u, l’une des deux notes buccales est extrêmement aiguë.
  2. D’une façon générale, on réserverait les ou, les o aux voix de basse, les a, les i, les u aux voix de soprano. Qui n’a remarqué d’ailleurs que, lorsqu’une chanteuse descend à ses cordes les plus basses, le son de sa voix tourne toujours forcément à l’ou ? C’est cet accent sourd qui donne une expression particulière à la voix dite de contralto. Les belles voix de soprano se complaisent aux sons a, i, o ; c’est pourquoi la langue italienne, si riche en terminaisons de cette espèce, prête à ces voix un charme ; tout particulier. Tous les chanteurs connaissent par expérience l’affinité de certaines voyelles pour certaines notes, et savent en tirer parti à l’occasion.