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qu’un sens, il est sûr que le Messie ne sera point venu ; mais, si elles ont deux sens, il est sûr qu’il sera venu en Jésus-Christ. — Toute la question est donc de savoir si elles ont deux sens[1]… » Oui, toute la question ; mais n’est-elle pas déjà résolue, rien que par l’énoncé ?

Tous ceux qui aiment le christianisme doivent donc s’estimer heureux que, depuis Lessing, une apologétique nouvelle, fondée sur la rédaction de l’Évangile à ses élémens simples et sur les éternels besoins de l’âme, se soit substituée à cette dangereuse méthode qui donnait pour base à la foi l’illusion ; mais, pour être juste, il faut ajouter que, si les chrétiens ont abusé des textes prophétiques dans l’intérêt de leurs apologies, c’est un défaut qu’ils ont hérité de la synagogue. Le rabbinisme en effet est le premier coupable. Oublieux de ce sens historique des prophéties auquel il ne revenait que pour combattre les prétentions chrétiennes, imbu d’une idée superstitieuse de l’inspiration littérale des livres saints, s’imaginant qu’il y avait toute sorte de mystères cachés dans chaque phrase, dans chaque mot, dans chaque lettre, c’est lui qui inventa cette méthode arbitraire d’interprétation qui transforme les prophéties en centons d’oracles obscurs se prêtant aux besoins de toutes les causes comme à toutes les bizarreries de l’imagination.

A présent, — car Vauvenargues a fait preuve d’un vrai génie divinatoire quand il a dit, antérieurement à toutes nos recherches modernes, qu’il n’est pas de superstition qui ne porte avec elle son excuse, — il faut reconnaître à la décharge du rabbinisme qu’il y eut toujours dans le prophétisme un élément de prédiction ou d’intuition de l’avenir, et c’est cet élément qui, passionnément aimé et recherché, exclusivement saisi, fit oublier les autres. On peut affirmer avec vraisemblance qu’à l’origine les prophètes ne furent guère prisés pour autre chose que pour la faculté de divination qu’on leur attribuait. L’erreur fut de croire qu’ils n’avaient jamais été autre chose que des faiseurs de prédictions.

L’idée vulgaire, fille de l’idée rabbinique, d’après laquelle le prophète a pour mission essentielle de prédire l’avenir, et en particulier de décrire plusieurs siècles d’avance l’apparition du Christ et la fondation de l’église, cette idée a pour corollaire celle que le prophétisme hébreu est un phénomène absolument distinct, sans aucune analogie ailleurs, un miracle vivant. Encore ici une part de vérité se joint à l’erreur. Il est très vrai qu’en aucun lieu, chez aucun autre peuple de l’antiquité, le prophétisme n’atteignit à la hauteur des prophètes d’Israël. On peut leur appliquer la même règle qu’au monothéisme juif, dont ils furent les plus fermes soutiens : ils

  1. Pensées, XVII, 4.