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excellent, ils sont incontestablement et de beaucoup les premiers, les types du genre, mais Ils ne sont pas absolument isolés dans l’histoire. Tous les peuples sémitiques, ceux surtout qui touchent de près au peuple d’Israël, ont eu des prophètes. Les Arabes n’ont pas cessé d’en avoir. On dirait que le prophétisme, j’entends le prophétisme sérieux et puissant, caractérise cette race au même titre que la spéculation philosophique est l’apanage de la nôtre. La philosophie dans l’antiquité eut la Grèce, et dans la Grèce Athènes poux foyer, non pas exclusif, mais principal. De même le grand prophétisme s’épanouit au sein du peuple hébreu et surtout parmi les fils de Juda. Ailleurs il dépassa rarement le niveau assez humble de ses origines. Le tort est toujours en pareil cas de changer la supériorité relative en singularité absolue.

On peut même dire que le prophétisme est moins exclusivement spécial aux Sémites que la philosophie spéculative ne l’est aux Aryens. Les peuples sémitiques n’ont jamais eu, que nous sachions, de philosophie spontanée, fille de leur seul génie, tandis que l’antiquité aryenne a connu des phénomènes qui présentent d’incontestables analogies avec le prophétisme hébreu, surtout à l’origine. La vieille Gaule et la Germanie eurent leurs inspirées, leurs prophétesses ; ce trait frappa même beaucoup les historiens classiques. Jeanne Darc est, dans les temps modernes, l’apparition qui se rapproche le plus de ces filles des grandes forêts, qui avaient des voix. La Grèce eut ses manteis, ses devins possédés de la mania ou fureur prophétique, et cet ordre de faits donna lieu à une science, la mantique, prise au sérieux par les plus beaux génies de l’antiquité.

Dans son acception la plus générale, le prophétisme est un phénomène de la vie de sentiment. Étudié ab ovo, il remonte aux époques où la vie humaine était encore très pauvre d’expérience, peu capable de réflexion, livrée encore presque tout entière à la puissance immédiate des sensations et des impressions. Ce qui explique déjà en partie la supériorité des prophètes hébreux, c’est que chez eux, du moins chez beaucoup d’entre eux, l’intelligence réfléchie, un sens moral élevé épure et ennoblit déjà les inspirations prime-sautières du sentiment sans leur enlever encore cet inimitable cachet de nature vierge qui donne tant de charme aux jets spontanés de l’esprit humain.

Sous toutes ses formes, le prophétisme se rattache au sentiment plus ou moins clair qu’un ordre divin règne dans le monde, puis à ce besoin de notre raison qui nous pousse à chercher l’inconnu et dans cet inconnu l’avenir. Parfois cet avenir, s’il n’est pas prévu, est du moins pressenti, et de là cette présagition, prœsagitio