Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/836

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prophète ; j’étais un bouvier et j’épluchais les figues sauvages quand Jéhovah me prit auprès de mes bœufs et me dit : Va, prophétise à mon peuple d’Israël. Prêtre Amatsia, tu écouteras donc maintenant la parole de Jéhovah… » Et il continue comme si on ne lui eût rien dit. Il est facile de comprendre que les rois, les grands et les prêtres, à moins d’être animés eux-mêmes des sentimens d’une piété ardente, ne fussent que médiocrement charmés d’avoir à leurs côtés ces puritains que leur enthousiasme rendait incorruptibles, et qui dans toutes les questions politiques et sociales n’écoutaient que l’inexorable logique de leurs prémisses religieuses.

Cependant le prophétisme n’était pas toujours aussi pur d’alliage et aussi bienfaisant qu’on pourrait le croire d’après la caractéristique précédente. Les prophètes ont parfois les défauts de leurs qualités ; leur zèle devient du fanatisme, leur fidélité aux principes dégénère en étroitesse. Hommes de l’idéal, il leur arrive d’exiger l’impossible des hommes de la réalité. Quand on voit que l’influence des nâbis contribua pour une large part au schisme qui, le lendemain de la mort de Salomon, sépara pour jamais le peuple d’Israël en deux camps irréconciliables, on est bien forcé d’avouer que leur prévoyance politique ne les préserva point toujours de lourdes bévues. Les écrits prophétiques de la dernière période portent même la trace d’opinions formées au sein des croyans et assez défavorables aux prophètes. La grande époque de l’inspiration passée, le prophétisme était devenu une forme littéraire, du moins homilétiqe ; l’enthousiasme ardent, la sincérité première, n’y étaient plus et même de basses spéculations, fondées sur le prestige antérieurement acquis au caractère prophétique, avaient fini par le discréditer.

Ce discrédit ne frappa toutefois que les contemporains de la décadence. Le peuple, le meilleur des juges en pareille matière, embauma dans son souvenir reconnaissant la mémoire des grands voyans qui l’avaient soutenu et consolé dans les plus mauvais jours. Leurs écrits, conjointement avec les livres de la loi, offrirent à la piété des siècles suivans sa nourriture par excellence. D’ailleurs il faut bien se garder d’appliquer à ces temps reculés nos idées modernes de tolérance religieuse et de sagesse politique. Un parti peut commettre des fautes momentanées tout en étant dans le vrai quant à sa tendance générale. Les erreurs et les fautes des prophètes n’empêchent pas qu’ils ont été dans leur pays les premiers par le patriotisme, par l’indépendance du caractère, par le spiritualisme des doctrines. C’est en eux, grâce à eux, que la mission historique de la nation s’est réalisée, et même, à prendre les choses dans leur ensemble, on peut dire que le malheur des rois