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offrir de sûretés. Pourquoi ce luxe de précautions ? C’est que Diane n’était pas tranquille. C’était une personne prudente que Mme de Valentinois : elle sentait que d’un jour à l’autre sa puissance pouvait s’écrouler. Les rois sont mortels comme les autres hommes, comme eux aussi ils sont inconstans. Diane voulait être sûre de conserver au moins son argent et ses terres ; or Dieu sait si ses ennemis laisseraient échapper l’occasion de l’en dépouiller le jour où soit la mort, soit l’infidélité du roi lâcherait la bride à leurs ressentimens ! Le plus redoutable de tous, cette reine que Diane protégeait si insolemment et qui dévorait à l’italienne son outrage et sa haine n’avait pu retenir quelques paroles menaçantes. Elle aussi, elle était amoureuse de Chenonceau ; elle le voulait, et espérait un jour, — elle l’avait dit dans un moment où la colère triomphait de la dissimulation, — elle espérait un jour faire revivre à son profit les droits de la couronne. Diane le savait, et ne pouvait s’accommoder d’une propriété aussi peu solide ; mais comment la purger de cette sorte de vice constitutionnel ? Comment faire pour effacer le passé, pour annuler douze années pendant lesquelles Chenonceau avait été en la possession du roi défunt ? A première vue, cela semblait impossible ; Diane pourtant ne désespéra pas d’y réussir, et l’on verra qu’elle eut raison.

Elle fit appel à toutes les roueries de la chicane, déjà fort avancée à cette époque. Les avocats les plus rusés, les gens de loi les plus érudits, furent convoqués. On machina un plan fort ingénieux, — comme on va voir, — on le bourra de toutes les subtilités de la loi, et quand la bombe fut prête, on la fit brusquement éclater sur la tête du pauvre Bobier, qui ne s’y attendait guère.

Après la désastreuse liquidation de 1535, il avait recueilli les débris de sa fortune. Tout ruiné qu’il était, comme la faveur royale ne s’était pas retirée de lui, on l’avait vu en quelques années remonter plus haut que jamais : gentilhomme de la chambre, conseiller au conseil du roi, gouverneur et lieutenant du roi au pays de Touraine, il était en même temps l’un des quatre généraux des finances. Les impôts du quart du royaume lui passaient par les mains ; on conviendra qu’il y avait de quoi réparer bien des brèches. Aussi, ne songeant plus au passé, se reposant sur la foi des traités, il se croyait parfaitement à l’abri.

C’est au milieu de cette sécurité que vint le surprendre en 1550 une assignation à comparoir devant la chambre des comptes, sous prévention d’avoir exagéré, en 1535, la valeur de sa terre de Chenonceau, et fait sciemment subir au trésor une lésion de plus de moitié prix. Bohier ne comprit pas d’abord d’où partait le coup, et tout naïvement tâcha de se défendre. Ce n’était pas lui, Bohier, qui avait forcé François Ier à payer Chenonceau si cher. C’était le