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savamment arrangés, de cet enthousiasme symétrique, de ces tambourins, de ces rameaux, de toute cette paysannerie solennelle ? Malgré soi, on pense à l’Opéra-Comique et à ses chœurs champêtres. Et puis toutes ces réminiscences antiques accommodées à la moderne, une colonnade grecque à côté d’un feu d’artifice, un arc de triomphe romain près d’une rangée de canons, des obélisques égyptiens bariolés d’inscriptions italiennes, françaises, latines et grecques ; l’allégorie partout, sous toutes les formes, sous toutes les couleurs : ici une Renommée descendant avec le pont-levis jusqu’aux pieds du roi, plus loin une Victoire offrant les lauriers et les palmes, puis une Pallas, — allusion ingénieuse à la sagesse de Catherine, — « magnifiquement aornée à l’antique, avec sa lance, et du haut d’un balcon récitant des vers de bienvenue, et inondant tout le cortège d’une pluie de vers, de guyrlandes, de bouquets et de fleurs. » Tout ce mélange de puérilités et de pédantisme, toutes ces graves niaiseries peignent l’époque en quelques traits. Voyez un peu le pouvoir de la mode et de l’esprit d’imitation ! Des Français, c’est-à-dire des gens qui rient de tout, prendre au sérieux tous ces enfantillages ! Des Italiens, passe encore, ils ont toujours aimé la mascarade, ils l’aimeront toujours : c’est chez eux un besoin de nature ; mais en passant les Alpes le déguisement devient compassé, solennel, et partant ridicule. Cela n’empêche pas, au XVIe siècle, le clinquant et l’oripeau de faire fureur. Que voulez-vous ? rien alors n’était bon chez nous que ce qui venait d’Italie.

Ce ne fut pas du reste la seule fois que Catherine mit Chenonceau en liesse. Si ces vieilles murailles pouvaient parler ! Que n’ont-elles pas vu pendant les trente années qu’elles abritèrent Catherine ! Après François II et Marie Stuart, et leurs soupirs amoureux, Charles IX et ses colères brutales, Marguerite et ses folles intrigues, puis Henri III et ses mignons, et leurs débauches et leur mollesse, enfin et surtout Catherine, tantôt méditant la Saint-Barthélémy, tantôt cherchant à piper son gendre, prudemment réfugia dans sa Navarre. C’était à Chenonceau que Catherine venait chercher le calme et retremper ses forces épuisées. La possession n’avait fait qu’accroître son amour. Entre tant de belles demeures qu’elle possédait, les Tuileries, Chaillot, Saint-Maur-des-Fossés, Monceaux, évidemment Chenonceau était son favori. Nous en avons la preuve dans un acte authentique, daté de 1576, par lequel Catherine affectait aux embellissemens de Chenonceau tous les revenus de sa baronie de Levroux, « voulant y faire plus de despense que en peut porter le revenu ordinaire de ladite terre et seigneurie. » Ce n’était pas trop pour mener à bien les projets que méditait Catherine. Ne songeait-elle pas à faire de son cher château la plus admirable des