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nous l’histoire de Chenonceau à travers la succession de Catherine de Médicis : ce seul exemple fera voir quel était alors le désordre général, le désarroi des finances et le discrédit de la royauté.


IV

La veille de sa mort, dans la matinée, avant que le délire la prît, Catherine voulut faire son testament. En présence du roi son fils et de sa belle-fille Louise de Vaudemont, la reine moribonde dicta ses volontés dernières aux notaires qui suivaient la cour. Dans ce testament, que la mourante ne put signer, « pour sa débilité, » le sort de Chenonceau fut ainsi fixé : « Item donne et lègue à la royne, sa fille, la terre et seigneurie de Chenonceau, ses appartenances et deppendances, avecq les meubles y estans, pour en jbyr en proprietté. » C’était clair et net. Pour plus de sûreté encore, Henri III, quelques jours après, ratifia par lettres patentes spéciales le legs fait à sa femme, déclarant que «… pour couper chemin à touttes subtilles interprétations et difficultez que l’on y pourrait cy après faire, speciallement pour l’hypotecque d’icelle maison aux debtes et dispositions testamentaires dont il sait mieux que tout autre que sa dite défunte dame et mère n’a jamais entendu l’en charger, ains l’en excepter….. Il ratiffie et aprouve, veut et lui plaist que sadite épouze et les siens jouissent et usent en tout droit de propriété de ladite terre, chasteau et seigneurie de Chenonceau, francs et quictes de toute debte, charge, et dispositions faites et ordonnées par sadite feue dame et mère, par testament ou autrement….. sans que ny mesme les créanciers et légataires de sadite feue dame et mère s’y puissent prendre ou adresser pour leurs debtes et hypotecques ; ce qu’il leur défend expressément. » Qu’il y eût dans cette défense un flagrant excès de pouvoir, personne n’en peut douter, mais on n’était pas à cela près à cette bienheureuse époque, et on serait tenté de croire que cette volonté deux fois exprimée par deux personnes royales devait prévaloir envers et contre tous. Il n’en fut rien, comme on va voir.

Il est vrai que les créanciers « de la défunte reine » étaient toute une armée. Ce que disait deux cents ans plus tard le cardinal de Rohan, Catherine pouvait bien le dire en 1589 : « il n’y a qu’une Médicis pour laisser autant de dettes. » Lorsqu’elle s’était mariée, elle possédait pour le temps une fortune immense. « Elle avait du bien en France, dit Martin du Bellay, jusqu’à cinq ou six cent mille écus vaillans, » et Contarini, dans sa Relazione de 1552 : « Elle a deux cent mille écus à dépenser par an ; encore ne lui suffiraient-ils pes tellement elle dépense pour sa table, pour ses écuries, pour ses vêtemens, et pour les mariages qu’elle aime à négocier. » Ce fut bien