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château peut en avoir. C’est un prince descendu à la vie bourgeoise, c’est un demi-dieu devenu mortel.

Encore, tant que vécut Mme de Mercosur, il ne fut tout à fait ni sans animation ni sans honneur. Sa nouvelle maîtresse ne le quittait guère, et, s’il ne pouvait pas attendre d’elle cette sollicitude constante, ces soins empressés auxquels l’avaient accoutumé les Diane et les Catherine, du moins avec elle n’avait-il pas à craindre l’abandon et le dépérissement. Deux fois même, dans cette période qui dura de 1606 à 1621, deux fois de royales visites vinrent rendre à Chenonceau comme un reflet de ses grandeurs passées, et la présence de Louis XIII éclaira d’un rayon de gloire ses vieilles murailles ; mais quand Mme de Mercœur n’est plus là, quand Chenonceau tombe tout simplement par voie d’hérédité aux mains de Françoise de Lorraine et de César Monsieur, alors commencent pour lui l’isolement et la tristesse. A peine de temps en temps entrevoit-il ses nouveaux maîtres ; il est réduit au rôle de pied-à-terre, Une fois, en 1637, il voit venir un prince du sang, Gaston d’Orléans, — c’est quelque chose, mais ce n’est plus un roi ; — il l’héberge quelques heures, il retrouve un moment dans un festin splendide sa vie et sa gaîté d’autrefois, et puis tout retombe dans le silence. Le temps se passe, et personne ne semble s’inquiéter de Chenonceau. Louis de Vendôme succède à son père, César Monsieur, puis il meurt à son tour, et Chenonceau suit obscurément le sort de tous ses autres biens : il passe aux mains du duc de Vendôme, l’illustre capitaine, et de son frère, le grand-prieur.

Heureux encore le pauvre château, s’il n’eût pas été troublé dans son obscurité ! mais ses-deux maîtres étaient de vrais bourreaux d’argent. Grâce à leurs extravagances, Chenonceau revit encore les huissiers ; il retomba entre les griffes des gens de loi, et cette fois sans qu’on fit rien pour l’en arracher. Au contraire MM. de Vendôme, en cette crise, s’empressèrent de l’abandonner en usufruit à l’un de leurs créanciers, et Dieu sait ce que devint l’infortuné château entre les mains d’un homme qui ne se souciait que d’en toucher les revenus. D’ailleurs le duc et le grand-prieur avaient eux-mêmes donné l’exemple de l’irrévérence et de la barbarie à son égard. Non contens de l’exposer aux injures et aux mauvais traitemens, ils le dépouillèrent de leurs propres mains. Tous ces objets de prix, tous ces marbres antiques, tous ces chefs-d’œuvre de l’art ancien ou moderne qu’y avait rassemblés Catherine et que Mme de Mercœur avait si soigneusement conservés, MM. de Vendôme les arrachèrent de Chenonceau. Ils les dispersèrent dans leurs demeures préférées, ou bien ils en firent leur cour au grand roi. A peine laissèrent-ils dans leurs niches ou sur leurs socles deux ou trois bustes, cinq ou six médaillons ; le reste prit le chemin d’Anet