Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autrefois en Prusse, chaque domaine formait un tout indivisible qui ne pouvait être ni morcelé ni réuni à une autre propriété. La loi du 9 octobre 1807 et l’édit du 4 septembre 1811, dus à l’initiative intelligente et novatrice de Stein, affranchirent la propriété de ces entraves. Il y a peu d’années, le parti aristocratique voulut les rétablir afin de constituer ainsi partout des majorats sous prétexte d’échapper au fléau du morcellement. Une enquête fut ouverte, les résultats, publiés en 1805, sont extrêmement curieux. Les rittergüter (biens nobles) étaient en 1837 au nombre de 12,015 comprenant 25,046,936 morgen. En 1858, on en comptait 12,827 avec une étendue totale de 27,550,000 morgen. Les rittergüter avaient donc gagné en vingt ans 2,503,064 morgen ou plus de 600,000 hectares. L’étendue moyenne de ces domaines s’était élevée de 2,085 à 2,148 morgen. Le plus petit mesurait un morgen ou 25 ares, le plus grand 72,904 morgen. La libre disposition de la propriété foncière, loin de nuire aux grands domaines, leur avait donc été favorable. Il est vrai qu’une circonstance particulière était venue contribuer à l’extension des grands biens. Même après les réformes de Stein, les domaines roturiers étaient restés grevés de beaucoup de servitudes au profit du domaine seigneurial, vaine pâture, corvées, etc. Les paysans pour se libérer eurent à verser des sommes assez importantes. Une commission spéciale fut même établie (Auseinander setzungscommission) pour présider à cette œuvre de libération du sol. Un chiffre suffira pour donner l’idée de l’importance de ses travaux : 1,500,000 propriétaires et 14 millions d’hectares ont été affranchis par son intervention. Afin de payer, le paysan emprunta ; jusque vers 1840, les produits agricoles étaient à un bon marché extrême, les voies de communication manquaient, le débouché extérieur, était nul. Beaucoup de petits propriétaires, ne pouvant faire face à leurs engagemens, furent obligés de vendre. L’offre excéda la demande, et les terres tombèrent à vil prix, Ce fut une crise longue et cruelle. Les propriétaires aisés se rendirent alors adjudicataires des terres des paysans au moyen du produit du rachat des servitudes féodales. Plus d’un cultivateur préféra transiger et abandonner une partie de sa propriété pour affranchir le reste. C’est ainsi que les rittergüter gagnèrent du terrain malgré le mouvement naturel en raison duquel la propriété se divise à mesure que la population augmente.

On avait craint aussi que le morcellement ne s’attaquât aux exploitations entretenant un attelage (Spannfähige Bauerhöfe) et ne les émiettât en parcelles que de pauvres ouvriers cultiveraient à la bêche. C’était le spectre du « sol réduit en poussière » évoqué jadis par Arthur Young à propos de la France, si souvent invoqué