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par l’aristocratie de tous les pays, et dont les statistiques françaises ont si bien fait justice. En Prusse aussi, l’enquête a montré que ce n’est point de ce côté que la société est en péril. On comptait en 1816, moins le pays rhénan et le district de Stralsund, laissés en dehors des relevés, 354,607 exploitations de paysans à charrues (Spannfähige Nahrungen), comprenant 34,425,731 morgen. En 1859, on en trouve 344,737 avec 33,498,433 morgen, soit seulement une diminution de 6,870 exploitations et de 927,198 morgen ou 230,000 hectares ; mais comme les rittergüter se sont accrus de plus de 600,000 hectares, on peut affirmer que la grande propriété a plus gagné que perdu. La moyenne de l’étendue des exploitations à charrue est restée exactement la même depuis un demi-siècle, 97 morgen ou 23 hectares environ, ce qui correspond exactement au travail d’une charrue ou d’un attelage. Les petites exploitations sans attelage étaient au nombre de 604,501 en 1859, mais elles ne contenaient en tout que 4,833,826 morgen ou 1,300,000 hectares environ, soit seulement la vingtième partie du sol. Ces propriétés ne se multiplient que dans la province rhénane et en Westphalie ; partout où se développe l’industrie, l’ouvrier veut acquérir un lopin de terre pour y établir sa demeure. La condition de la Prusse sous ce rapport est bien préférable à celle de l’Angleterre, où l’ouvrier n’est presque jamais propriétaire de son habitation, et où, par crainte des poor-rates, de la taxe des pauvres, on refuse d’en construire pour lui.

C’est une erreur singulière de l’esprit de parti de croire que les envahissemens de la petite propriété menacent la société moderne. On ne citera pas un état dont elle ait causé la ruine, tandis que le cri de douleur de Pline, latifundia perdidere Italiam, retentit encore à travers les siècles comme un lugubre avertissement. C’est la grande propriété qui a perdu les empires de l’Orient et l’empire romain, et c’est elle encore qui arrête le développement économique de l’Espagne, de la Russie et de l’Autriche. Il ne faut point sortir de la Prusse pour se convaincre que la petite propriété n’exerce pas du tout sur les progrès de l’agriculture l’influence qu’on lui prête. Il suffit de comparer les provinces orientales, avec leurs grands domaines, aux provinces occidentales, où le sol est beaucoup plus divisé. Dans celles-ci, la valeur des terres est deux fois et demie plus forte. D’après les relevés du cadastre, le produit des cultures est trois fois plus grand, et celui des bois trois fois et demie. Dans l’échelle des. estimations cadastrales, les premières classes ne sont point du tout représentées vers l’orient, pas plus que les dernières vers l’occident. Les voies de communication s’élèvent à 17,000 mètres par mille carré dans le pays rhénan et à 14,000