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la charge seulement de payer le tribut de la capitation (kharadj). Façonnés par la vie pastorale qu’ils menaient dans les déserts où furent leurs primitives demeures à tout ce qu’il y a de plus simple dans les institutions humaines, au gouvernement paternel de leurs chefs de tribus, ils transportèrent dans les contrées où ils vinrent se fixer les mêmes habitudes, le même régime. Sous le sceptre tolérant des sultans, les populations chrétiennes conservèrent une sorte d’indépendance et leur nationalité. Au moment où Mahomet II prenait possession de la capitale de l’empire grec, le patriarche œcuménique venait de mourir ; il ordonna qu’un nouveau prélat fût élu et consacré suivant les rites antiques et les canons de l’église byzantine. Le choix étant tombé sur Gennadius, le prince musulman le traita avec les plus grands honneurs ; il l’invita à un banquet et lui remit, conformément à l’étiquette de la vieille cour impériale, le sceptre d’or enrichi de perles et de pierreries. Il fut aussi bienveillant et montra la même déférence envers les chefs religieux des autres populations que le sort des armes lui avait livrées. Il y avait en lui à la fois l’homme de guerre habile et le profond politique qui s’efforçait de réparer et de faire oublier aux chrétiens les violences de l’invasion, et qui voulait se révéler à eux comme le fondateur d’un grand empire. Ses successeurs suivirent presque toujours la même ligne de conduite envers leurs rayas. Ceux-ci vécurent tranquilles, et sauf quelques catastrophes accidentelles occasionnées par des intrigues de palais, ils n’eurent jamais à gémir sous le poids d’une oppression systématique et prolongée ; leur joug était, sinon doux à porter, du moins peu gênant. L’autorité qui s’imposait à eux était légitimée par le prestige de la puissance, par les entreprises nobles et utiles qui signalèrent le règne de plusieurs souverains ottomans, par de brillantes conquêtes au dehors. L’empire était formidable contre l’Europe, alors morcelée en une foule de petits états sans lien entre eux, déchirée par l’anarchie féodale et affaiblie par des secousses et des désordres incessans ; mais un nouvel ordre de choses s’élaborait au sein de la chrétienté, prête à se dégager du chaos du moyen âge. Sur les ruines de la féodalité, la royauté commençait à asseoir son pouvoir fort et prépondérant, un nouveau droit public à s’introduire dans les rapports de nation à nation ; l’Europe se constitua en une vaste république fédérative liguée contre les Ottomans, considérés comme l’ennemi commun. Elle eut à leur opposer des armées régulières et permanentes, substituées aux bandes indisciplinées, aux troupes mercenaires qui avaient paru jusque-là sur les champs de bataille, un art militaire transformé par des découvertes inattendues et par l’adoption d’une tactique savante. Cependant la Turquie, fidèle aux