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supplique dans le même sens ; les uns et les autres furent sévèrement admonestés par le conseil suprême. Cependant le mouvement, qui avait son point de départ dans le lycée, commençait à se faire sentir dans toute la population arménienne de Constantinople. Les notables allaient avant peu regretter leur égoïste système d’opposition ; ils n’avaient pas voulu d’un comité des finances, ils furent forcés plus tard de subir bien d’autres innovations, et l’avenir leur réservait les plus cruels mécomptes.

Nous avons insisté sur ces détails parce que, dans les débats qui furent alors soulevés, on voit pour la première fois les Arméniens en corps tenter de s’ingérer dans l’administration des affaires de la communauté. Ils n’ont point encore la perception nette et vraie de ce qu’ils doivent vouloir ; on dirait les mouvemens confus de l’homme qui secoue la torpeur d’un long sommeil. Bien des maladresses, bien des fautes furent commises ; mais cette fois le réveil était bien caractérisé et manifeste. N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque chose de sympathique dans le spectacle d’un peuple qui s’émeut ainsi pour une question morale, qui met au nombre de ses plus chers intérêts l’éducation de ses enfans ? Ce sentiment éclate dans ses efforts à lutter pour le maintien du lycée de Scutari. Sans approuver entièrement les causes qui produisirent les événemens ultérieurs, en avouant même que certaines réformes furent intempestives ou prématurées, on ne peut s’empêcher de reconnaître que le premier mobile des agitations que ces réformes occasionnèrent était un sincère et louable désir du bien.

L’impulsion, une fois donnée, ne devait plus s’arrêter ; l’attention publique était excitée au plus haut point. D’une question toute spéciale, elle allait se porter sur l’ensemble de la situation et sur les abus de toute espèce dont chacun avait à souffrir. Les corporations, dont les griefs étaient obstinément repoussés par le conseil suprême, implorèrent la médiation du sultan. Leurs adversaires réussirent d’abord par leurs menées à écarter leurs demandes et à rendre les réclamans eux-mêmes suspects. Des menaces d’exil ou d’emprisonnement furent proférées ; mais rien ne put les intimider et les faire reculer. Tant de fermeté ne devait pas rester stérile. Les notables, comprenant le danger de pousser à bout un peuple irrité et cette fois prudens pour eux-mêmes, firent une chose par laquelle ils espéraient se concilier sa faveur. Ils élevèrent sur le siège de Constantinople un prélat réputé pour le libéralisme de ses opinions, Mgr Matthieu[1]. Sa haute et douce influence amena une

  1. Élu depuis catholicos, il a occupé le siège d’Edchmiadzine de 1859 à 1863, époque de sa mort.