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fond de l’Arménie, pour restaurer l’église de Sainte-Sophie, ébranlée et dégradée par un tremblement de terre.

Pour l’orfèvrerie et la bijouterie, les Arméniens sont sans rivaux ; ils sont habiles aux damasquinages élégans, aux fines ciselures. Il y a là d’anciennes traditions, toujours vivantes, car de tout temps les joyaux ont tenu une grande place dans la parure nationale. La broderie a atteint aussi entre leurs mains un rare degré de perfection ; ces belles étoffes turques où l’or, l’argent et la soie se marient pour éblouir et charmer les yeux par les teintes et les dessins les plus riches, les plus harmonieux, sont fabriquées dans des ateliers où des femmes arméniennes déploient ces instincts merveilleux qu’elles apportent en naissant pour ce genre de travail.


Nous venons de raconter les évolutions par lesquelles est passées dans ces trente dernières années, cette fraction considérable de la nation arménienne qui vit soumise aux lois du sultan. Elle s’est donné, avec la sanction du gouvernement, une constitution dont l’idée fondamentale est le dogme de la souveraineté populaire ; elle a fait d’heureuses tentatives pour vivifier l’instruction publique, pour s’approprier quelques-unes des idées utiles et des méthodes de l’Europe moderne. En perdant son indépendance politique, elle n’a abjuré ni le sentiment de sa valeur et de sa dignité, ni le désir de faire des conquêtes dans le champ de la civilisation moderne. Mettant habilement à profit les privilèges accordés par la Sublime-Porte, elle s’est organisée intérieurement et a vécu de sa vie propre, tout en restant étroitement unie au vaste empire auquel elle a été incorporée.

Dans ce travail de régénération, le clergé a eu sa part de coopération ; mais cette part n’a pas été aussi grande qu’on aurait dû l’espérer. Il est resté souvent indifférent ou étranger aux changemens qui ont retrempé la nation ; il a été trop stationnaire quand tout marchait autour de lui. Aussi l’ascendant qu’il exerçait autrefois sans l’imposer va-t-il en s’affaiblissant. La nouvelle génération ne se laisse plus guider par lui avec la même docilité ; elle ne vient pas s’abriter d’elle-même, comme les générations précédentes, sous cette tutelle, qui pourrait être salutaire, si les chefs de l’église étaient jaloux de se montrer les dignes héritiers de ceux de leurs glorieux prédécesseurs qui furent les bienfaiteurs ou les sauveurs de leur pays. Néanmoins le prestige de la religion est encore immense sur le peuple, et il serait regrettable qu’il en fût autrement, car si les Arméniens, dont une notable portion est disséminée sur la surface du globe, ont conservé vivace le sentiment de leur