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dans le ciel, trop pesante pour la frêle tige qui la porte, s’incline et retombe.

Le roman d’Hypérion est une œuvre essentiellement lyrique. Il appartient à la grande famille moderne d’Obermann, de Jacopo Ortis et de Lélia, à cette classe de romans où l’action, sans être nulle, est tout intérieure et se réduit presque à un douloureux dialogue entre le héros et cet autre mystérieux personnage qui s’appelle le destin ou la nature des choses, à une lutte solitaire de la pensée livrée au doute contre les énigmes de la société et de la vie. La forme fragmentaire et personnelle de tous ces romans manifeste, à ne point s’y méprendre, le caractère qui leur est commun. On les a plus d’une fois considérés comme procédant de Werther en ligne directe ; on ne s’est pas assez souvenu qu’entre cet ouvrage et ceux dont nous parlons il y a l’abîme d’une révolution. Qu’on ne s’arrête pas en effet aux analogies extérieures, et l’on découvre aussitôt la différence qui sépare le héros de Goethe de ceux qu’on rattache à lui. Nature ombrageuse et contemplative, Werther, fatigué avant de connaître l’action et même de la soupçonner, se plaint de la destinée sans avoir contre elle de grief positif à élever. Vingt-cinq ou trente ans plus tard, quelle différence ! et si les héros de Hœlderlin, de Senancour et d’Ugo Foscolo se montrent comme Werther enclins au découragement, combien ce découragement est plus justifié ! Ils viennent d’assister au cataclysme d’un monde ; la plus colossale entreprise que l’orgueil humain pût rêver à échoué sous leurs yeux ; la société s’est entr’ouverte, et une lueur sinistre en a éclairé les profondeurs, montrant aux regards les maux qui la travaillent, les problèmes qui la tourmentent, les contradictions qui la rongent ; la mince pellicule qui sépare la réalité du néant a été crevée, et la stérilité des volontés humaines est apparue dans tout son jour. L’action que Werther n’a point connue, Obermann, Jacopo Ortis et Hypérion ont pu y prendre part, et l’action les a déçus. Après une lutte de géans, ils ont vu toute société dissoute, l’individu laissé à son isolement, à sa faiblesse, au sentiment amer de ses efforts avortés. L’échec de la révolution, tel qu’on pouvait se l’imaginer au commencement de ce siècle, n’était pas seulement la condamnation du monde par la philosophie, il était la condamnation de la philosophie elle-même, l’arrêt porté contre la pensée et la volonté de l’homme, également convaincues d’impuissance. On conçoit les lamentations de ces grands désabusés, leur amertume, leurs ressentimens contre l’action, leur ardeur à se jeter dans le sein de la nature paisible et muette. Du reste le monde nouveau qui leur a manqué et à la recherche duquel ils se sont perdus est parfois assez indistinct. Jacopo Ortis est moins vague à cet égard que ne l’est Obermann ; mais Hypérion, malgré la poésie des sentimens et