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qu’il adresse à ses esclaves éplorés en les affranchissant, dans ses adieux à sa demeure, aux arbres de son jardin, à la nature hospitalière qui lui a si longtemps prodigué ses douceurs. Il s’éloigne enfin, et en partant il pleure sur la Sicile, comme Jésus sur Jérusalem, et voit s’élever à l’horizon lointain le jour où, de l’Afrique et de l’Italie, l’ennemi viendra ensanglanter la terre des moissons odorantes et fouler aux pieds de ses armées les raisins dorés.

Dès les premiers pas, aucune des humiliations de l’exil ne lui est épargnée ; le désert se fait autour du maudit, le voyageur évite son sentier, le berger auquel il demande un abri et un verre d’eau lui ferme sa chaumière ou s’enfuit avec horreur. Cependant le vent populaire a déjà tourné ; les Agrigentins, plus troublés qu’auparavant, ont éprouvé les effets de l’absence du grand homme ; ils ont redemandé leur bienfaiteur et leur idole. Il faut que ceux qui ont obtenu son bannissement, viennent le supplier de rentrer dans Agrigente. Le prêtre Hermocrate, couvrant d’un langage orgueilleux l’affront qu’il est obligé de dévorer, apporte à Empédocle un pardon insolent que celui-ci rejette avec mépris. La foule le presse, l’implore et lui offre enfin d’être le Numa de la cité. « Non, répond-il, le temps des rois est passé. » Et, comme le peuple s’étonne, il ajoute :


« L’aigle couve-t-il toujours ses aiglons — dans le nid ? Il en a soin lorsqu’ils sont aveugles. — Tant qu’ils sont encore nus, il abrite doucement — sous ses ailes leur vie obscure et sommeillante ; — mais dès qu’ils ont regardé la lumière du soleil, — dès que le temps a grandi leurs ailes, — il les chasse du berceau pour qu’ils volent à leur tour. — Rougissez de vouloir un roi ; vous êtes — trop vieux. Au temps de vos pères, — cela était permis ; c’est fait de vous aujourd’hui, — si vous ne savez pas vous sauver vous-mêmes. »


Quant à lui, son rôle terrestre est achevé ; il n’a plus qu’à mourir. Il apparaît bientôt sur le sommet de l’Etna. Au moment de consommer avec la nature ses noces éternelles, un enthousiasme sacré s’empare de lui, et il chante en termes magnifiques son propre épithalame. « L’heure est venue… L’Etna paternel apprête à son hôte la coupe de flamme que l’esprit intérieur remplit jusqu’aux bords ; elle est couronnée de fleurs qu’il a enfantées lui-même, la tempête souterraine s’éveille pour la fête, et, sœur de la foudre, elle envoie ses éclats jusqu’aux nuages. Je sens mon cœur gonflé de joie et d’orgueil. » Un dernier combat lui reste à livrer. Au bord du cratère surgit à sa vue un vieillard, Manès l’Égyptien, symbole des terreurs orientales, qui essaie de l’arrêter par l’épouvante ; mais il se rit de ces peurs enfantines et s’abandonne avec confiance au mystère des abîmes.

L’accent des hymnes orphiques alterné dans cette œuvre singu-