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ligieuses et politiques ne l’abandonnent pas ; on le voit assez à cet arrêt où il proclame la déchéance définitive de la royauté et qui est comme un écho du club de Tubingue et des discours de la convention ; on le voit aussi à l’irritation d’un patriotisme humilié qui perce chez lui presque à chaque pas. Il rêve une régénération de l’Allemagne, mais il ne la rêve pas, à l’exemple des romantiques, comme une renaissance catholique et comme un retour aux gloires évanouies du saint-empire romain, il ne la rattache pas non plus aux souvenirs, déjà réveillés par Klopstock, des victoires d’Arminius sur l’envahisseur latin, qui sont devenues dans la suite le thème des déclamateurs gallophages. Au contraire il rêverait, s’il osait, cette régénération dans une résurrection du génie hellénique. Le nom de la Grèce lui arrache les accens d’un fils qui pleure sur le tombeau maternel ; il cherche à se faire illusion et à se persuader qu’elle n’est pas morte pour toujours. « Oui, s’écrie-t-il en s’adressant à la mer d’Ionie dans une belle poésie intitulée l’Archipel, tu reposes encore à l’ombre de tes montagnes comme autrefois ; tes bras toujours jeunes embrassent encore la terre bien-aimée, et de tes filles, de tes îles fleuries, aucune n’est perdue. La Crète se dresse encore ; Salamine verdit sous ses lauriers tout illuminée de rayons ; au soleil couchant, Délos élève sa tête inspirée, et Céos et Chio sont toujours couronnées de fruits… Ces compagnes célestes, les puissances suprêmes, qui, toujours tranquilles, apportent aux mortels la clarté du jour, le doux sommeil, les pressentimens secrets, les divinités sont toujours avec toi, et souvent dans le crépuscule du soir, lorsque des monts de l’Asie la lumière sacrée de la lune descend et que les étoiles se mirent dans tes flots, tu brilles toi-même d’un éclat céleste, et le chœur de tes frères d’en haut retentit dans ton sein. » La demeure seule subsiste, le génie qui l’habitait l’a désertée pour jamais. Hœlderlin le comprend, et il courbe la tête sous la volonté du grand dieu de l’hellénisme, du destin, auquel il adresse l’hymne qui ouvre son recueil.

Si un poète qu’on pourrait appeler le dernier des païens, après s’être enivré de son rêve jusqu’au délire, est mort sans avoir jamais espéré que son Atlantide surgît un jour des profondeurs du temps, il n’est pas à croire qu’aujourd’hui les plus fervens apologistes de la civilisation hellénique nourrissent une plus sérieuse illusion. Non, ces hommes d’esprit ne veulent pas repeupler l’Olympe, ils n’ont pas la ridicule fantaisie de renouveler une tentative, dans laquelle Julien, armé de la puissance impériale, a échoué voilà quinze cents ans, quand les temples étaient encore debout. Leur zèle païen est surtout un jeu poétique, car presque tous sont poètes, et leur talent, dans lequel les inquiétudes de la pensée moderne percent sous le dilettantisme grec,