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dangereuse immixtion, aisément transformé en une sorte de paradoxe à la fois politique et religieux. Les discours ont été abondans, les actes rares. En s’enflammant sur les résultats grandioses d’un chimérique avenir, les propagateurs ont oublié de mettre en pratique leur système. Le temps qui aurait été si bien employé, à conduire les premiers essais a été perdu à faire des prophéties aussi compromettantes qu’inutiles ; inutiles, parce que la valeur d’une théorie se juge uniquement d’après les résultats de la mise en œuvre ; compromettantes, parce que ces téméraires prédictions effrayaient d’abord les uns par la menace, et puis préparaient l’éloignement des autres par d’inévitables déceptions. La comparaison entre les promesses et les succès a causé plus d’une défaillance, car le découragement est aussi prompt que l’espérance est impatiente. Lorsque l’action a été tentée, le défaut de préparation s’est fait sentir. On a malheureusement, au grand préjudice de l’idée de coopération, entrepris des œuvres hâtives et mal conçues. La société de consommation, par exemple, a souvent échoué à Paris et dans les départemens par des causes diverses, mais ordinairement parce qu’elle a commencé prématurément, avec un trop faible capital. La réputation des pionniers de Rochdale faisait croire que, sans se donner le temps d’acquérir des avances suffisantes, toute association coopérative devait, comme si un charme était attaché à ce mot, faire immédiatement de vastes opérations et, bien entendu, de grands bénéfices. On aurait dû savoir que les pionniers de Rochdale ont procédé avec plus de prudence, lentement, petit à petit, et qu’il leur a fallu du temps pour monter leurs beaux magasins d’épicerie et mettre en branle leurs moulins. Leur succès a été progressif et d’un caractère d’ailleurs si extraordinaire qu’il est difficile de le considérer comme normal. Tirer de cet exemple la conclusion que l’imitation n’est pas impossible, rien de mieux ; mais s’appuyer sur cette réussite étonnante pour croire à l’infaillibilité de toutes les entreprises semblables, c’est vivre dans l’utopie.

L’insuffisance du capital, dans les sociétés de consommation, a fait aussi que le gérant n’a pas toujours été bien choisi. L’exiguïté du traitement, du salaire, car il faut toujours en venir à ce mot, même dans l’organisation coopérative, a égaré le choix des associés sur des hommes mal préparés par leurs antécédens à l’exercice d’une fonction si difficile. La capacité même, lorsqu’on l’a rencontrée, pouvait-elle suppléer au défaut de ressources financières ? Avec une caisse presque vide, peu ou pas de crédit, comment avoir des magasins bien approvisionnés et en état de répondre aux demandes de la consommation ? Aussi les ménagères ont-elles facilement repris l’habitude d’aller aux boutiques qu’elles fréquentaient avant la