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avec modération ou sans règle. L’efficacité de la loi de 1864 étant déterminée au double point de vue de l’ordre extérieur et des intérêts économiques, il reste à savoir si cette loi est en elle-même véritablement juste et opportune. Lorsqu’elle fut portée au palais du Luxembourg, M. Dupin aîné demanda que le sénat s’opposât à la promulgation au nom du droit de propriété, qu’un article de la constitution a mis sous la garde de cette assemblée. Toutes les parties d’une industrie se tiennent, disait-il ; si les ouvriers qui filent s’arrêtent, les tisseurs seront obligés de chômer par le fait d’autrui ; le chômage des tisseurs entraînera celui des imprimeurs sur étoffe, et le commerce des tissus ne marchera plus, si les métiers cessent de battre dans les manufactures. Ainsi de proche en proche la grève s’étendra comme les cercles concentriques que forme en un lac la chute d’une seule pierre. De cette répercussion des grèves résultait, selon l’orateur, l’atteinte a la liberté industrielle et par conséquent à la propriété. Il assimilait donc la propriété au travail, et confondait ces deux choses afin de persuader au sénat que la loi projetée violait un principe constitutionnel. Ce sophisme a ébloui quelques esprits, et il n’est pas rare qu’on le reproduise ; mais autant vaudrait dire, je crois, que l’avare porte atteinte à la liberté du travail parce qu’il ne consomme pas, et que sans consommation la production est impossible. Étrange abus de l’art de raisonner ! Que de fois cependant M. Dupin n’avait-il pas, soit comme avocat soit comme procureur-général, répété cette maxime : « Nul ne peut se plaindre d’être injustement lésé par l’exercice du droit d’autrui. » Neminem lœdit qui jure suo utitur. Toute la question se réduisait à savoir si le concert dans un intérêt commun entre patrons ou entre ouvriers est un acte que le droit naturel réprouve et que la loi positive doive frapper. Or évidemment le délit de coalition n’est qu’une création artificielle du législateur, faite contrairement à la liberté naturelle de se réunir et de s’associer. L’abrogation de la peine effaçait donc entièrement la criminalité de l’acte.

La coalition a des analogues qui peuvent en démontrer la légitimité. A certains égards, je la compare à un syndicat organisé pour arrêter les inondations ou pour faire l’assèchement d’une mine. De quoi serviraient les efforts d’un propriétaire isolé pour détourner l’eau de son champ, si elle pénétrait sur le champ du voisin ? De quelle utilité serait l’épuisement d’une mine par un exploitant, si les concessionnaires limitrophes gardaient la source qui par infiltration vient l’inonder ? A défaut d’ensemble dans les travaux, les efforts individuels seraient inutiles autant que coûteux ; les eaux, repoussées d’un côté, entreraient de l’autre ; la mine s’emplirait à mesure qu’on travaillerait à la vider. De même