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monstrueux des Pélasges, la divinité tellurique qu’on adorait dans le frémissement des chênes de Dodone et le vague murmure des cavernes souterraines. C’est de l’île de Crète que sortit le mythe du dieu personnel et plastique ; mais les élémens dont le concours a produit ce mythe définitif n’appartiennent pas à la Crète : c’est plus loin et plus haut dans l’Orient qu’il faut les chercher, dans cette région que l’antiquité désignait sous le terme vague de Phrygie, et particulièrement dans le pays compris entre l’Olympe mysien à l’est, la péninsule de Cyzique au nord, l’Ida à l’ouest, et le Dindymus de Pessinunte au sud. Là naquit le culte de Rhéa, mère de Jupiter. Les mythologues assimilent Rhéa à Cybèle, la grande mère, dont la religion remplissait toute cette partie de l’Asie-Mineure. Les Curètes, à qui fut confié le jeune dieu dans les montagnes de Crète, n’étaient autres que les prêtres phrygiens de Rhéa, analogues aux corybantes, qui portèrent dans le mont Dicté, avec leurs tambours et leurs cymbales d’airain, les rites orgiastiques et le mysticisme étrange de l’Asie. Parmi les nymphes qui nourrirent le fils de Saturne, l’une s’appelait Ida, comme la montagne de Troade, une autre Adrastée, comme une des villes de la Propontide. Plus on approche de l’Olympe de Constantinople, plus les traditions se pressent. Les Mysiens prétendaient tirer leur nom de Mysos ; fils de Jupiter : ils montraient dans la montagne même de Brousse les ruines d’un temple de Jupiter olympien où avait été le tombeau de Ganymède. Les Bithyniens invoquaient ce dieu sur les plus hauts sommets. Les Argonautes lui avaient élevé un sanctuaire sur l’emplacement actuel de Scutari ; sur la rive opposée du Bosphore, Io avait enfanté de Jupiter Keroessa, qui fut mère de Byzas, fondateur de Byzance. Enfin il est facile encore de suivre la légende divine dans son voyage du nord au midi le long des côtes de l’Asie-Mineure. Nous savons que les Mysiens reculèrent autrefois devant une invasion de Phrygiens thraciques, et se retirèrent au sud vers la région du Tmolus. Ils emportèrent avec eux leurs dieux et leurs cultes. Nous retrouvons leurs traces certaines en Lydie, puis eu Carie, où ils fondèrent un temple de Jupiter protecteur des Mysiens, des Lydiens et des Cares. À l’horizon de ces derniers est Rhodes : entre Rhodes et la Crète est l’île de Carpathos, c’est-à-dire, selon l’étymologie, le chemin des Cares ; c’est par cette route que la religion naissante de Jupiter, mêlée aux rites des vieux cultes asiatiques, passa en Crète, où ses élémens se coordonnèrent, et d’où elle marcha de Cyclade en Cyclade vers la Grèce continentale.

Les considérations et les faits que nous venons d’exposer étaient nécessaires pour marquer exactement dans la région du Bosphore une des grandes étapes de la migration des Aryens, la plus