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Les avis sont partagés, et, faute de renseignemens, on tâtonne dans le vide. Ce qui est certain, c’est qu’il s’est passé quelque chose de subit et d’inattendu. Nous pouvons d’autant moins en douter que cette impression nous revient de tous les côtés. Par exemple, il est on ne peut plus curieux de comparer au récit biblique l’inscription consacrée par Sennachérib au récit de ses exploits en Palestine. Après avoir parlé d’une première victoire remportée sur une armée égyptienne et de la prise d’Angarron, la ville du roi Padi, à qui Ézéchias avait donné asile, il continue en ces termes[1] : « Ézéchias le Juif ne se soumit pas. Je pris et pillai quarante-six grandes villes murées et une foule de petites bourgades qui lui appartenaient, et contre lesquelles je combattis en domptant leur orgueil et en affrontant leur colère. Aidé par le feu, les massacres, les combats et les tours de siège, je les emportai, je les occupai, j’en fis sortir deux cent mille cent cinquante personnes, grandes et petites, mâles et femelles, des chevaux, des ânes, des mulets, des chameaux, des bœufs et des moutons sans nombre, et je les pris comme butin. Quant à Ézéchias, je l’enfermai dans Jérusalem (Ursalim), la ville de sa puissance, comme un oiseau dans sa cage. J’investis et je bloquai les forts au-dessus d’elle. Ceux qui sortaient par la grande porte de la ville furent emmenés et pris. Alors la crainte immense. de ma majesté terrifia cet Ézéchias le Juif ; les hommes de guet et les troupes gardiennes qu’il avait assemblées pour la défense de Jérusalem, la ville de sa puissance, il leur donna congé. Il les envoya vers moi à Ninive, la ville de ma souveraineté, avec trente talens d’or et quatre cents talens d’argent, des métaux, des rubis, des perles, de grands diamans, des selles en peau, des trônes garnis de cuir, de l’ambre, des peaux de veau marin, des bois de sandal, des bois d’ébène, le contenu de son trésor, ainsi qu’avec ses filles, les femmes de son palais, ses esclaves mâles et femelles ; il délégua son ambassadeur pour présenter ses tributs et faire sa soumission. » Puis l’historien royal continue en décrivant ses autres campagnes, toujours et uniformément victorieuses, qui désormais l’entraînent d’un tout autre côté.

On voit combien nous avions raison de dire plus haut que, tout en recueillant avec soin le témoignage des inscriptions cunéiformes, il ne faut pourtant l’accepter que sous bénéfice d’inventaire. L’art de raconter un échec sous forme de succès ne date pas d’hier dans l’historiographie officielle. En réalité, le récit biblique est confirmé dans tous ses grands traits, la dévastation du pays de Juda, la terreur d’Ézéchias, le tribut considérable qu’il envoie pour apaiser

  1. Nous nous servons ici de la traduction de M. Oppert, confirmée quant à l’essentiel par celle de M. G. Rawlinson.