Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque hymne d’imprécations, mêlé de soupirs et d’espérances, tel que celui-ci :


« Près des fleuves de Babel, nous nous sommes assis en pleurant. —

« Nous pensions à Sion, — et nous.avons pendu nos cithares aux saules du rivage.

« Nos vainqueurs nous ont demandé des paroles de cantique.

— « Ils nous disaient en se moquant : « — Chantez-nous donc un chant de Sion ! » — Ah ! comment chanterions-nous un cantique de Jéhovah — sur la terre étrangère ! — Si je t’oublie, Jérusalem, — que ma main. droite s’oublie elle-mêne, — que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens pas de toi, — si je ne mets pas en toi ma joie suprême !

« O Babylone, ville d’assassins, — heureux celui qui te rendra — la pareille de ce que tu nous as fait ! — heureux celui qui prendra tes petits enfans — et les écrasera contre les pierres ! »


Comment ! ces insensés s’imaginaient que la superbe ville aurait un jour le sort de leur pauvre Jérusalem en ruine ! Qui donc renverserait pour eux ces murailles et disperserait ces armées sans nombre ? Où donc se cachait leur vengeur ? À cette question, quelqu’un d’entre eux eût pris à part le voyageur, et, lui montrant le ciel, lui eût répondu : Là !

En réalité, la captivité de Babylone donna naissance à un peuple, nouveau. Ce fut pour le vieil Israël, composé d’élémens disparates qui ne s’étaient jamais bien fondus, comme un crible à travers lequel ne passa que le bon grain, bien trié. Tous les élémens impies ou douteux allèrent se perdre dans la masse indistincte du peuple vainqueur ; mais Ésaïe et les autres prophètes qui avaient toujours parlé d’un « reste, » d’une élite impérissable, avaient bien jugé leur peuple. Aux mauvais jours, les « sept mille hommes ne fléchissant pas le genou devant Baal » se retrouvèrent constamment, et ce fut cette indomptable minorité qui sauva l’avenir.

Le fait est qu’une rare opiniâtreté était nécessaire pour ne pas perdre complètement courage en face des écrasantes réalités de l’exil. Nébucadnetzar régna longtemps, quarante-trois années, toujours plus glorieux, toujours plus puissant[1]. Son fils Évilmerodac régna après lui pendant deux ans, puis fut assassiné par son

  1. Il faut, quand on parle de ce roi, laisser de côté le livre de Daniel, écrit trois siècles plus tard, lors des guerres d’Antiochus Épiphane contre les Juifs, et où Nébucadnetzar est dépeint d’une manière tout idéale. Les savans qui déchiffrent les inscriptions cunéiformes se seraient évité bien du souci, s’ils avaient en connaissance de cet a, b, c, de la critique biblique.