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Civita-Vecchia. De Rome, les agens diplomatiques étrangers envoyaient à leurs cours des renseignemens trop précis sur le nombre et sur les mouvemens des forces françaises dans la Méditerranée et dans la péninsule italique. Pas un bâtiment de guerre sorti de Toulon ne pouvait passer en vue de Civita-Vecchia et d’Ostie, pas un bataillon expédié d’Ancône ou de Milan ne pouvait traverser les états du saint-siège sans être signalé à nos ennemis. Ces considérations toutes pratiques, d’un intérêt matériel et palpable pour ainsi dire, n’étaient pas au fond bien différentes de celles qui déjà en 1797, à la veille et au lendemain de Campo-Formio, préoccupaient le jeune commandant des troupes républicaines et lui avaient fait tant de fois répéter dans sa correspondance avec les membres du directoire que, pour demeurer les maîtres incontestés des Alpes, il leur était indispensable de dominer également tout le long de la chaîne des Apennins. Depuis les triomphantes journées de Marengo et d’Austerlitz, la pensée du grand stratégiste n’avait en rien changé ; mais, comme il était naturel, l’orgueil avait crû chez lui avec le succès et la puissance. Pour cet orgueil devenu désormais intraitable, la résistance inattendue d’un souverain aussi faible que le pape était devenue une sorte d’affront impossible à supporter. La blessure d’amour-propre était d’autant plus cuisante que le refus de Pie VII s’appuyait sur une doctrine purement spirituelle, absolue et immuable, contre laquelle toutes les ressources de sa redoutable puissance demeuraient forcément sans prise. Quel que fût cependant le terrain du combat, il était contre la nature de l’empereur de reculer jamais et de s’avouer vaincu même en théorie. A la thèse qu’à Rome on osait soutenir contre lui, il saurait bien en opposer une autre ; la sienne ne le céderait en rien à celle du Vatican, elle serait également inflexible, elle remonterait aussi loin dans le passé et serait d’ailleurs conforme à ces traditions séculaires de l’église qu’on se plaisait si fort à lui opposer.

Il faut l’avouer, ces armes dangereuses dont l’adversaire du saint-siège s’emparait maintenant avec tant d’ardeur et d’une façon si inattendue, c’était, hélas ! l’église romaine qui les lui avait fournies elle-même. Dans un moment de coupable complaisance et d’imprudente adulation, combien de fois n’avait-elle pas prodigué au signataire du concordat le titre de protecteur de la religion catholique ! Avec quel abandon de sa propre dignité et quelle téméraire inconscience de l’avenir n’avait-elle point pris plaisir à évoquer à son sujet les noms de Pépin et de Charlemagne ! Parmi les souvenirs laissés par Pépin et Charlemagne, il convenait maintenant à l’orgueilleux empereur de mettre en première ligne la donation du patrimoine de saint Pierre faite à l’évêque de Rome par le