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ses provinces des Pays-Bas, se réjouissait de la Saint-Barthélémy comme d’une victoire qu’elle aurait gagnée elle-même, et tous ceux qui étaient prêts à servir les desseins de la politique française tombaient dans un trouble inexprimable. En Hollande, les Nassau, un moment découragés, se montraient presque disposés à traiter. Au-delà du Rhin, l’appui sympathique qu’avait rencontré la France se changeait en une irritation profonde. Si l’on veut avoir une idée juste du désordre que peut jeter dans la politique d’un pays une résolution soudaine improvisée par un caprice sanguinaire, on n’a qu’à lire les dépêches des ambassadeurs : elles renvoient l’écho de l’impression universelle, et en même temps elles ont l’accent sincère et triste d’hommes qui croyaient travailler sérieusement à une œuvre patriotique, qui pensaient toucher à la réalisation d’un grand dessein. Schomberg était en Allemagne, tout occupé à nouer des alliances, lorsque la nouvelle de la Saint-Barthélémy vint le surprendre, et il écrivait aussitôt : « Toute ma négociation s’en est allée en fumée. » Honnête et clairvoyant autant qu’habile, Schomberg se désespérait de ce qu’il considérait comme un désastre diplomatique ; il s’efforçait de le réparer et il multipliait les conseils de modération. « Avant tout, disait-il, il faut consolider la playe que la mort de l’amiral et l’effusion du sang des huguenots ont faite au cœur des princes, car présentement on n’aura nulle raison d’eux. C’est au roy de faire connoistre, par effet et par un gracieux traitement qu’il pourra faire aux huguenots, qu’on ne veut exterminer la religion. Et surtout on doit fuir toute intelligence secrète de l’Espagnol… »

Quand la nouvelle de la Saint-Barthélémy arriva à Constantinople, l’évêque de Dax, M. de Noailles, ressentit la même impression, et il écrivit au secrétaire d’état, M. de Sauve : « L’exécution du 24 août est advenue justement en un temps que les affaires de Flandre nous promettoient non-seulement une apparente déclination de leur accoustumée prospérité, mais aussi faisoient voir et toucher au doigt la plus lourde chute et la plus pressante révolution que reçut jamais une monarchie, les éclats de laquelle ne pouvoient tomber qu’à nos pieds. Je ne vous veux rien ratiocinner là-dessus ;… mais je vous dirai bien que vous ne m’eussiez su sitôt représenter les Pays-Bas abattus que je vous eusse fait voir l’Espagne et l’Italie bien malades, et outre cela je m’attendois bien de vous faire contempler notre roi sur le théâtre du monde, côtoyé de monseigneur son frère, pour les constituer les plus formidables arbitres des principautés de l’Europe qui furent il y a mille ans ; mais Dieu, qui tient le cœur du roi en sa main, en a voulu autrement, dont il se faut esmerveiller, quand ores ce ne seroit que pour y remarquer l’infélicité des