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aujourd’hui. — Je répondis à M. Daru : — Ce n’est pas moi qui aurai à les discuter avec les gens de Silésie ; je n’éprouverai pas l’embarras de leur entendre dire que nous manquons aux promesses qui leur avaient été faites ; l’empereur vient de me nommer sous-préfet. Ce n’est certes pas de l’avancement, mais je ne m’en plains pas ; cela me tire d’ici, et je vais me rendre à mon nouveau poste. — A la bonne heure, me dit M. Daru, je conçois que vous preniez la chose ainsi. »

« En arrivant à Berlin, j’avais trouvé en effet dans le Moniteur ma nomination à la sous-préfecture de Bressuire. On disait beaucoup parmi mes collègues que c’était une disgrâce, que des lettres où j’avais parlé trop librement des malheurs de la guerre et de la situation des pays conquis avaient été ouvertes ; je ne demandai d’explication à personne, je ne réclamai point. Bressuire était un village que les guerres civiles avaient réduit à cinq ou six cents habitans, qui était situé dans l’intérieur du Bocage, à quinze lieues de toute grande route. Je pensai que je ne tarderais pas à m’apercevoir si je devais renoncer à une carrière où je serais retenu dans une situation inférieure et en butte à des préventions malveillantes, qu’alors je donnerais ma démission. »

Il ne donna point sa démission, et il n’eut point de raison de la donner ; une de ses lettres de Silésie avait en effet été ouverte. « Elle avait paru imprudente, dit-il ailleurs, mais elle n’avait pas donné mauvaise idée de mon jugement ni de mes opinions. » Plusieurs auditeurs, ses collègues au conseil d’état, avaient aussi été nommés sous-préfets ; M. Regnault de Saint-Jean d’Angély continuait de lui témoigner une bienveillance sérieuse et active. « Il me conseilla d’aller me présenter à l’empereur, qui était alors à Fontainebleau. Quoique je fusse rassuré sur la disposition que ma nomination à Bressuire avait pu me faire craindre, je ne voulus pas courir le risque d’entendre quelques paroles désagréables, et je ne suivis pas ce conseil. » Il eut encore raison, il était peu propre à accepter humblement une dureté de despote ; il prit le parti de se rendre sans délai à son poste : « Il n’y a que vingt lieues, dit-il, de Poitiers à Bressuire ; il me fallut trois jours pour faire arriver ma calèche ; les chemins ressemblaient assez aux routes de Pologne. Il y avait d’abord douze lieues de plaine, c’est-à-dire de boue, puis huit lieues de bocage et de chemin creux entre deux haies ; il me fallut prendre tantôt des chevaux de renfort, tantôt des bœufs ; il m’arriva de verser et de rompre le timon, je couchai deux fois dans des auberges de village. Enfin le 25 décembre 1807, à onze heures du matin, je fis mon entrée à Bressuire. Je fus consterné à l’aspect de ces maisons en ruine où végétaient le lierre et les orties ; de