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ment est commun, leur chambre commune, leurs meubles sont les mêmes. Eh bien ! dites-le-moi, quel spectacle vous présentera la demeure d’un homme voué par état à la contemplation solitaire ? Des jupons de femme, des ceintures, des mitres accrochées aux murailles, dans la chambre une navette, des quenouilles, un fuseau, un métier à tisser, des corbeilles et dans tous les recoins des approvisionnemens de laine ou de lin, accompagnés de peignes et de cardes : voilà l’ornement, la décoration du domicile d’un prêtre ! Les servantes ou les filles du voisinage y viennent travailler ou babiller avec la dame ; les gros rires éclatent, le prêtre prend part à leur gaîté, à leurs propos, parle laine, fuseaux et chanvre, en un mot se fait femme pour vivre avec elles. Quelquefois les commères se querellent, le domestique manque de respect à la maîtresse, le prêtre accourt pour mettre le holà ! Oh ! comme cette vie s’accorde bien avec les affaires du salut !

« Supposons maintenant que la sœur spirituelle soit riche. Ce seront d’autres conditions pour le prêtre, un autre spectacle dans sa demeure, une autre misère dans sa vie. Cette fille étant riche, il faut que rien ne lui manque, car les matrones du monde élégant et délicat sont moins exigeantes en commodités que ces vierges-là, et c’est au prêtre d’y pourvoir. Aussi quel mouvement il se donne pour la contenter ! Il court d’abord chez l’argentier savoir si la vaisselle est prête, si le miroir de la dame est en état, si l’on aura à temps opportun l’amphore au vin ou la fiole à l’huile. De l’argentier il passe chez le parfumeur, et en effet ce genre de vierges est passionné pour les onguens, il les lui faut variés et chers. Le prêtre explique au marchand quels sont ceux que préfère la dame. Après le parfumeur, c’est le marchand d’étoffes, le fabricant de toiles et de tapis. Le prêtre va, vient, marchande, débat les prix, emploie toutes les ruses de l’acheteur en face du vendeur. Même visite au cordonnier, la journée du prêtre se passe ainsi à circuler de boutique en boutique, l’âme du prêtre n’est plus à l’église, elle est à la foire !…

« Mais voici la basilique qui s’ouvre. Que de profanations, que de nouveaux scandales nous y attendent ! Le prêtre se tient à la porte, jusqu’à l’arrivée de la dame, et, quand elle paraît, il la précède comme son eunuque ou son huissier, lui fait faire place en bousculant la foule, et recueille le long du chemin les sourires du public. Il arrive que, loin d’en rougir comme il devrait, il en tire souvent vanité. Lorsque approche le redoutable moment des mystères, la dame y assiste, le prêtre tourne la tête vers elle, il semble la consulter du regard, et tout cela se passe en présence de Dieu et des fidèles. La manie de ces femmes est encore de se mêler de