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Tel était généralement le caractère des enseignemens de Chrysostome ; sa riche imagination savait donner la vie et l’action aux préceptes les plus austères, il traînait les vices au grand jour, sous une complète nudité pour les rendre hideux et ridicules.

La seconde des plaies qui infectaient le clergé constantinopolitain était la gourmandise, la sensualité de la table, la passion des festins, la gueule en un mot, comme la langue latine dit énergiquement. Prêtres et diacres menaient dans cette ville de luxe et de plaisirs la vie la plus molle et la plus somptueuse ; ils ressemblaient pour la plupart à cet ecclésiastique romain dont parle saint Jérôme, qui, né de paysans et nourri dans son village de bouillie noire et de millet, avait acquis sous l’habit clérical le talent de deviner quelle était la race de tel loir, si tel faisan venait de Colchide ou de l’oasis d’Égypte, tel poisson de l’océan Britannique ou de la mer Caspienne. Ces besoins immodérés qu’entraîne la gourmandise donnaient naissance à un troisième fléau, l’avarice, dont nous allons parler amplement, car, s’il fallait beaucoup d’argent pour entretenir dans sa maison la table du prêtre et du diacre, au dehors ces habitudes sensuelles entraînaient les clercs à fréquenter les tables des grands. Chrysostome nous les peint circulant de maison en maison chez les riches pour quêter un repas et avilissant par de basses complaisances leur caractère sacré. Dans des accès de sainte colère, il les traitait de parasites et de sycophantes de théâtre, leur proposant pour exemple son austère sobriété. Il lui répondirent par la calomnie en inventant « ses orgies de cyclope. »

L’avarice était la troisième et la plus mortelle plaie de ce clergé dissolu. Quand les gains licites de l’église ne suffisaient pas aux besoins des clercs et de leur ménage spirituel, ce qui était un cas fort ordinaire, ils faisaient main basse sur son patrimoine, qu’on usurpait et pillait à qui mieux mieux. Les ecclésiastiques, les évêques eux-mêmes n’y mettaient pas grande façon, habitués qu’ils étaient à considérer les biens de l’église comme les leurs propres. L’histoire des conciles est remplie à ce sujet des accusations et des faits les plus graves. Après l’emploi frauduleux du domaine ecclésiastique venaient les captations, les donations surprises, les legs arrachés aux familles, enfin le détournement des deniers confiés aux prêtres pour les pauvres. Ce dernier crime surtout était irrémissible aux yeux de Chrysostome, il le regardait comme un sacrilége, un attentat contre Dieu, car voler les pauvres, disait-il, c’est voler Jésus-Christ. Jérôme, signalant le même vice dans le clergé romain, s’écriait avec une admirable éloquence : « Les lois des empereurs catholiques nous ont frappés d’incapacité à recevoir des donations et des legs. Les prêtres des idoles, les prostituées, les