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çait l’anathème sur ces prodigalités inutiles qui dispersent dans les fêtes, dans les palais, sur les théâtres, ce que réclame la faim des pauvres. Depuis Sp. Cassius attaquant devant la plèbe de Rome les usures des patriciens, et depuis les Gracques prêchant la loi agraire, pareils accens n’avaient point frappé des oreilles humaines. Sans doute il était de l’essence du christianisme, religion des humbles et des petits, de protéger le pauvre et de recommander la charité aux puissans, et c’est une des gloires de l’église d’en avoir fait un lieu commun de ses prédications ; mais celles de Jean Chrysostome avaient un caractère bien autrement incisif et marqué que les formules ordinaires de la charité évangélique. Ses contemporains en jugèrent ainsi, et encore aujourd’hui plusieurs de ses sermons nous étonnent par leur audace.

En même temps qu’il déployait contre les classes élevées de la société une sévérité parfois excessive, il dépassait peut-être la mesure dans l’expression de son affection pour les classes populaires. Il ne se contentait pas d’aimer le peuple, il l’admirait, il lui croyait des vertus, il lui supposait une sorte de puissance morale particulière. Un tremblement de terre ayant ébranlé Constantinople jusque dans ses fondemens, puis s’étant apaisé tout à coup, Chrysostome dit en chaire « que les vices des riches avaient amené ce péril en excitant la colère de Dieu, mais que les prières des pauvres l’avaient détourné. » — Un autre jour il disait : « Ce qui fait la gloire de ma ville, ce n’est pas d’avoir un sénat, des consuls et autres choses de cette sorte, c’est d’avoir un peuple fidèle. » — « Entrez dans l’église ; vous y verrez notre vraie splendeur, les pauvres attentifs à la parole de Dieu, en sentinelle dans le lieu saint depuis le milieu de la nuit jusqu’au jour sans que le sommeil ou les nécessités de l’indigence puissent les en chasser. » Il ajoutait en désignant les riches : « Je voudrais bien savoir où sont maintenant ceux qui nous troublaient l’autre jour, car leur assistance en ce lieu était pour nous une sorte d’incommodité et de trouble. Je voudrais bien savoir ce qu’ils font, et quelle meilleure occupation ils peuvent avoir que de venir ici comme les autres ; mais je sais bien qu’ils n’en ont aucune et que leur absence n’est que l’effet de leur faste et de leur superbe. Pourtant, dites-moi, je vous prie, quel sujet vous avez de vous estimer si fort et de croire que vous nous obligez beaucoup lorsque vous venez écouter ici les vérités nécessaires à votre salut. Pourquoi donc étaler tant d’arrogance ? Est-ce parce que vous êtes riches et vêtus de soie ? Mais ne devriez-vous pas considérer que ces étoffes sont l’ouvrage des vers qui les ont filées et l’invention des barbares qui les ont tissées ? Ne devriez-vous pas considérer que les courtisanes, les hommes infâmes voués