Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
REVUE DES DEUX MONDES.


sans égal. D’un côté les ariens, de l’autre l’avidité et l’ambition des faux catholiques nous déchirent à l’envi. Au moment où nous t’écrivons, l’argent circule à profusion, et une troupe de loups enragés se jette sur notre siége épiscopal comme sur une proie. »

Chrysostome alors était malade, et le froid de l’hiver aggravait encore l’infirmité qui l’affligeait ; mais, le péril de la foi l’appelant, il n’hésita pas à partir. Son embarquement fut fixé au 9 janvier de l’année 401. Avant son départ, il remit la direction de sa métropole et la charge de le remplacer dans la prédication à Sévérianus ou Sévérien, évêque de Gabales, en Cœlé-Syrie, qui était son compatriote et qu’il croyait son ami. Ce Sévérien s’était fait une sorte de réputation dans la ville par des discours où il cherchait à singer l’archevêque, mais qu’il assaisonnait un peu trop de son rude accent syrien. Nous ferons bientôt plus ample connaissance avec ce personnage, qui nous offrira un des types les plus complets de l’évêque de cour dans la capitale de l’Orient.

Chrysostome avait envoyé en avant pour l’attendre dans le port d’Apamée, où il se proposait de débarquer, Cyrinus de Chalcédoine et Paul d’Héraclée, qui devinrent plus tard ses ennemis, ainsi que Palladius d’Hellénopolis, qui du moins lui resta fidèle, et dont les précieuses confidences nous servent de guide dans ces récits. Au moment où l’archevêque quitta le port de Constantinople, la mer était calme, et le navire cingla d’abord sans encombre du Bosphore dans la Propontide ; mais là un vent du nord violent s’élevant tout à coup le poussa avec une telle impétuosité vers la côte d’Asie, que le pilote craignit d’être jeté sur les écueils de Proconèse ; il tourna l’île, fit plier les voiles, et, se garant derrière le mont Triton, il jeta l’ancre et attendit un vent plus favorable. Ce vent, qui était celui du sud-ouest, soufflant au bout de trois jours, lui permit d’aborder au port d’Apamée. Durant cette relâche forcée, Chrysostome, ses diacres et ses serviteurs passèrent deux jours sans manger, le patron de la barque, qui comptait sur une courte traversée, ne s’étant muni de vivres que pour un jour.

Entré enfin dans Apamée, demi-mort de faim et de fatigue, il y fut reçu par les trois évêques qui l’attendaient, et quand ses forces furent un peu revenues, il prit avec ses compagnons la route de terre pour gagner Éphèse. Leur premier soin à leur arrivée dans cette ville fut de convoquer les évêques de Lydie, d’Asie, de Carie. Ils se trouvèrent en tout soixante-dix ; mais déjà beaucoup d’entre eux, avertis par le bruit public, étaient en chemin pour se rendre au synode ; d’autres y arrivaient aussi de districts plus éloignés et même des villes de la Phrygie, attirés par la curiosité ou par le désir d’admirer de près le grand orateur.

L’affaire instante d’Éphèse était l’élection qui se préparait pour