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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


le remplacement d’Antonin ; or on avait pu espérer que la présence d’un synode et surtout l’autorité de l’archevêque de Constantinople imposeraient aux mauvaises passions de la populace et aux brigues corruptrices des candidats. Il n’en fut pas ainsi. L’impudence des compétiteurs, l’acharnement des partis, l’agitation de la multitude, persistèrent comme auparavant. Les places, les rues, les maisons, l’église, retentissaient de diffamations que les concurrens se jetaient mutuellement à la face, se traitant d’impies, de voleurs, de sacriléges, et déshonorant d’avance en leurs personnes la dignité à laquelle ils osaient aspirer. Ce spectacle révolta le rigide Chrysostome ; effrayé d’une élection faite sous de tels auspices, il s’entendit avec une portion du clergé et des évêques pour prévenir le triomphe de ces misérables, et de concert une sorte de coup de théâtre fut préparé. Après un discours dans lequel, déplorant la division des esprits, il représenta avec une éloquence entraînante le déshonneur et l’affliction qui en rejailliraient sur l’église, l’archevêque proposa comme moyen de pacification le choix du diacre Héraclide, qui l’accompagnait ; il y eut d’abord grand étonnement, puis, les gens de bien se mettant de la partie, la proposition rallia peu à peu beaucoup de voix : bref, Héraclide fut élu. C’était un ancien moine de Sceté, assez renommé pour son savoir dans les lettres profanes et plus encore dans l’exégèse des saintes Écritures. L’archevêque, sans perdre un moment, procéda à son ordination avec le concours des soixante-dix membres du concile, tout ébahis d’un si brusque revirement des choses. Produit d’une surprise électorale, surprise honnête et heureuse pourtant, l’ancien diacre de Chrysostome ne jouit pas longtemps des honneurs qu’il devait à son éloquence. Nous le verrons bientôt chassé, déposé par un autre concile, rétabli, emprisonné, martyr enfin, suivant la fortune de son protecteur, car ces petites républiques ecclésiastiques rappelaient par leur turbulence et leur mobilité les révolutions des anciens gouvernemens démocratiques de l’Asie.

L’affaire de l’élection terminée, on passa à l’apurement des comptes de l’église d’Éphèse et aux évêques accusés de trafic simoniaque. Le lâche Eusébius, qui avait vendu son silence à Antonin, reparut devant le synode, sollicitant son pardon, et s’offrant à produire contre les six évêques dénoncés les témoins qu’il avait jadis promis. le scandale était trop grand pour que le synode n’eût pas à cœur d’y mettre fin. Les six évêques étaient présens, on autorisa la comparution d’Eusébius, on fit lire les actes de ce qui s’était passé l’année précédente à Constantinople, et l’assemblée, se formant en cour de justice sous la présidence de Chrysostome, procéda sans retard à l’audition des témoins.