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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


Une fois en train de réformer et de sévir, le terrible justicier ne s’arrêta pas en si beau chemin, et ce fut son tort. De la province d’Asie, son ardente inquisition se porta sur les provinces voisines, la Lycie, la Carie, la Pamphylie, la Phrygie, le Pont ; ce fut une enquête sur les évêques d’une moitié de l’empire d’Orient, faite de concert avec cette cour synodale qu’il présidait, enquête trop rapide malheureusement, car il accusait, jugeait, déposait, remplaçait, sur la seule renommée publique dans la plupart des cas. Or il faisait tout cela en dehors de sa juridiction, et sans y être appelé par les villes et les églises. En moins de trois mois, treize évêques, quelques-uns disent quinze et même seize, furent jugés, cassés, remplacés par des successeurs qu’on leur envoyait tout ordonnés. La terreur régnait dans les diocèses d’Asie. En quittant la province proconsulaire d’Éphèse, Chrysostome voulut passer par la Bithynie, où il avait un acte de justice exemplaire à exercer, et s’étant arrêté à Nicomédie, capitale de la province, il cita devant lui le métropolitain, nommé Gérontius. L’histoire de ce personnage est curieuse, et donne une étrange idée des mœurs ecclésiastiques de cette époque.

Gérontius était un Occidental, médecin de profession, et qui avait exercé son art dans la ville de Milan en y joignant un peu de magie, au moins de cette magie chrétienne qui consistait à communiquer avec le diable et les génies infernaux, à les évoquer, à les dompter par des exorcismes, à les reconnaître enfin sous les diverses formes que l’esprit de malice sait prendre pour se glisser parmi les hommes. Ce charlatan mystique s’était acquis par ces manœuvres une sorte de réputation de sainteté. Ambroise lui-même, le grand archevêque, s’y était laissé prendre et avait admis Gérontius comme diacre dans son église. Revêtu d’un caractère sacré et des pouvoirs qui l’accompagnaient, l’ancien médecin se livra sans mesure à des opérations théurgiques dont il était peut-être la première dupe. Sa réputation grandit doublement près des ignorans et près des esprits exaltés, mais il se perdit lui-même par un conte absurde. Il prétendit avoir rencontré une nuit un de ces esprits infernaux qu’on appelait lamies, l’avoir reconnu malgré l’obscurité, sous la figure d’un âne, et que, ce démon cherchant à lui échapper, il se l’était soumis, l’avait muselé, conduit dans un moulin et forcé de tourner la meule.

Parvenues jusqu’aux oreilles d’Ambroise, ces sornettes impies l’indignèrent ; il interdit Gérontius et le chassa de son église. Le diacre expulsé reprit son état de médecin, alla demeurer à Constantinople, et grâce à son habileté dans son art, grâce surtout à son savoir-faire, il devint une sorte de personnage, prit pied à la cour de l’empereur, qui était alors Théodose, gagna la protection