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conseiller, l’autorité était à la régente. De la minorité de Louis XIV il passa à son règne, et nous eûmes un beau panégyrique du grand roi. — Il était grave, il avait un grand sentiment de la dignité et de l’honneur de la France ; c’est lui qui fut le créateur de l’administration ; il eut de grandes armées et remporta de belles victoires ; il résista à toute l’Europe. C’est lui et non pas Henri IV qui a donné à la France cette prééminence que nous avons conservée, — Il fit droit à une réclamation que je me permis de faire pour Henri IV, et revenant sur son jugement, porté trop vite, il se mit à parler de Henri IV, de ses grandes qualités comme chef d’armée et comme politique, mais toujours sur un ton de supériorité ; puis il dit : — Sa vie a été malheureuse, il méritait mieux. — Alors il reprit toute la carrière de Henri IV. — Dès sa jeunesse, un mariage forcé ; presque massacré à la Saint-Barthélémy, contraint de changer de religion, tenu captif dans une cour qui voulait sa perte, chef d’un parti méfiant et indiscipliné, conquérant sa couronne à la pointe de l’épée, régnant au milieu des conspirations et des assassins, trahi par ses maîtresses, troublé par une femme acariâtre, et finir par un coup de poignard ! — Alors il s’arrêta un moment. — Je compare quelquefois son sort au mien : la couronne lui appartenait, et combien il lui fut difficile de la gagner ! Il régna en bon et habile souverain, et on l’assassina ! Tandis que moi, qui n’étais pas né pour monter sur un trône, j’y suis arrivé tout simplement, sans grande difficulté, et je puis m’y maintenir calme et sans péril. C’est que je suis l’œuvre des circonstances, j’ai toujours marché avec elles.

« J’écoutais ces étonnantes paroles, me demandant si réellement il pouvait avoir cette tranquillité d’esprit après avoir perdu une armée de cinq cent mille hommes, et lorsqu’il avait à combattre l’Europe entière sans une chance probable de succès. Je ne me souviens pas bien comment il passa d’Henri IV à César et à Alexandre, car nous l’écoutions sans dire une parole. Il admirait César comme un grand homme de guerre, mais il en faisait peu de cas comme politique. — Il aimait trop à plaire au peuple, dit-il ; ainsi il ne pouvait réussir à s’emparer du pouvoir. — Quant à Alexandre, son admiration était sans aucune critique ; des royaumes conquis, des villes fondées, des expéditions lointaines, des royaumes en Asie, une mémoire laissée dans les trois parties du monde. A l’entendre, nous reconnaissions les passions qui l’avaient conduit à Moscou.

« Cependant le souper était fini, l’impératrice avait passé dans le second salon ; l’empereur s’aperçut qu’elle s’ennuyait d’attendre si longtemps, et il nous quitta. »

Quelques semaines après cette conversation, l’empereur nomma M. de Barante préfet de la Loire-Inférieure. C’était un grand poste