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PROSPER RANDOCE.


teur ! Franchement, je ne suis pas de votre force. Je crois bien avoir lu les Incendies ; quant à les admirer… Entre nous soit dit, ils ne valent pas le diable.

— Vous m’affligez, monsieur ; mais peut-être avez-vous raison. Mes amis me plaisantent sur mon goût pour la poésie : ils prétendent que je ne m’y connais pas.

Frosper se mordit la lèvre. — Cet animal, pensa-t-il, est par trop complaisant. Qui diantre ! lui demandait d’être de mon avis ?

— Quand je vous dis, reprit-il d’un ton aigre-doux, qu’ils ne valent pas le diable… entendons-nous, que diable ! entendonsnous. Les Incendies sont un péché de jeunesse ; mais il y a péchés et péchés…

— Oh ! nous nous entendons, interrompit Didier. Quand vous comparez votre péché à ceux des autres, il vous semble véniel. Nous sommes bien près de nous accorder. Dieu me garde de prétendre que les Incendies soient un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain ! Il m’a paru seulement, comme je vous le disais tout à l’heure, qu’ils nous promettaient un poète. Je pensais en les lisant : l’auteur a quelque chose à dire, un jour il le dira… Un homme qui a quelque chose à dire est à mes yeux un homme a part. J’ai voulu m’assurer que je ne m’étais pas trompé. Je suis un huissier qui vient rappeler à votre talent que le jour de l’échéance est proche, qu’on vous attend, qu’on veut être payé. J’ai la conviction que vous êtes solvable.

Prosper prit confiance. Il se gourma, se carra, se gonfla, passa solennellement sa main dans sa vaste chevelure. Il éprouvait le besoin de se donner un peu d’exercice, il jugea que l’occasion était bonne pour piaffer un peu, pour « déployer son tonnerre. » Se drapant dans sa cagoule, les yeux au plafond, il arpenta la chambre à grands pas.

— Huissier de mon cœur, dit-il, vous avez raison. Oui, il y a quelque chose ici (et il étreignait ses deux tempes des cinq doigts de sa main gauche). Oui, il y a quelque chose là (et il se frappait la poitrine à tour de bras en secouant la tête comme un cheval qui hoche avec la bride). Vous avez confiance en moi. C’est bien. Un jour vous direz avec une juste fierté : J’avais deviné ce Prosper Randoce… Ce jour-là, tous les incrédules se vanteront d’avoir cru ; mais votre gloire ne vous sera point ôiée. Ayant eu part au danger, vous aurez part à l’honneur… Eh bien ! oui, mon cher, la tête que voici est une cuve, et dans cette cuve il y a quelque chose qui fermente, qui travaille, qui bout. Gare à l’explosion ! Heureusement les douves sont en vieux chêne et cerclées de fer… Que j’aie quelque chose à dire, oh ! cela n’est pas douteux. Laissez-moi le temps