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PROSPER RANDOCE.


il sentait que l’Andromède devait lui revenir. 11 avait, comme on sait, des principes, et tenait pour certain qu’il y a une Providence qui rémunère tôt ou tard la vertu. Seulement il faut attendre l’échéance, et le billet est souvent à long terme ; on perd quelquefois patience. Mais si rien n’étonnait Randoce, il ne laissa pas d’être content ; il connaissait de vieille date ce précieux morceau pour l’avoir marchandé plus d’une fois, et il en savait le prix. La satisfaction brillait dans ses regards ; il parla du Puget et des arts plastiques en connaisseur, sans phrases, sans hyperboles, et tint son frère pendant une heure sous le charme de sa parole.

Quand il fut parti : — Ne nous pressons pas trop de le juger, pensa Didier. Il a peut-être de l’honneur. Nous en ferons quelque chose.

XIV.

Carminette ne fut pas la seule connaissance que Prosper fit faire à Didier. Un jour il lui proposa de le présenter à une femme auteur dont il lui vanta l’esprit et le talent. — J’ai parlé de vous à M me Lermine, lui dit-il. Elle désire vous voir ; elle aime les originaux. Je vous crierais : En garde, chevalier ! si elle ne frisait la cinquantaine. Cependant les restes sont beaux.

C’est à quarante-cinq ans sonnés que M me Lermine, pour se consoler du déclin de sa beauté, avait fait paraître un recueil anonyme d’élégies, dont personne ne parla, hormis le seul Piandoce, qui faisait alors de la critique et réservait son encens pour les médiocrités inolTensives. Il porta aux nues le volume azuré, proclama l’auteur un poète de génie contre lequel le grand journalisme ourdissait le noir complot du silence. On juge si M me Lermine lui sut gré de son manifeste ; elle lui témoigna dans les termes les plus pressans son désir de connaître « le seul homme qui l’eût comprise, » et de ce jour Prosper fut un habitué de la maison.

Didier crut devoir accepter la proposition de son frère ; il était bien aise de passer en revue ses diverses relations. Un mercredi soir, il se laissa conduire par lui chez M" 10 Lermine, rue Joubert. Chemin faisant, Prosper lui expliqua que M. et M rae Lermine ne vivaient pas dans la meilleure intelligence ; il n’y avait entre les deux époux ni convenance d’humeur, ni conformité d’idées. Contre l’ordinaire, c’était le mari qui allait à confesse, c’était la femme qui philosophait.

Fils d’un ancien préfet du midi qui s’était signalé sous la restauration par l’ardeur de son zèle et les allures un peu farouches de son orthodoxie, M. Lermine avait adopté toutes les opinions de