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Alexandrie, avait eu plusieurs fois l’occasion d’entretenir le prince de ce gigantesque projet ; mais les incidens d’un règne si agités ne permirent point au vieux pacha d’y songer sérieusement. Lorsque celui-ci eut disparu de la scène, l’Égypte traversa, sous le gouvernement heureusement éphémère d’Abbas-Pacha, une crise fâcheuse. Enfin en 1854, après la mort violente d’Abbas, Mohammed-Saïd monta sur le trône. Cet événement parut favorable aux desseins de M. de Lesseps ; il avait connu ce prince au temps où celui-ci vivait encore sous la rude discipline paternelle. Il accourut donc en Égypte, et, autorisé par le souvenir d’anciennes relations, s’efforça d’inspirer au nouveau vice-roi la noble ambition qui avait un moment pénétré dans l’âme de Méhémet-Ali. Il y réussit, et bientôt commencèrent les études préliminaires. La nation française, depuis de longues années influente en Égypte, mais de cette influence qui civilise et n’opprime pas, y avait de nombreux représentans, entre autres d’habiles ingénieurs ; nous citerons les noms de Mougel-Bey et de Linan-Bey. M. de Lesseps les intéressa, les associa à son œuvre naissante. Saïd-Pacha mit leurs services à sa disposition ; avec eux, il parcourut les déserts de l’isthme de Suez, et se rendit compte des conditions d’exécution du canal maritime.

Le plan était dès lors de fonder une compagnie universelle, c’est-à-dire d’associer dans la commandite de l’entreprise les capitalistes de tous les pays ; c’était le moyen d’intéresser au succès le monde entier, et par conséquent de prévenir bien des difficultés politiques. La question la plus délicate résultait de la situation du pacha vis-à-vis son suzerain. Où finissaient dans cette affaire les pouvoirs du pacha ? Dans quelles limites l’autorisation du sultan était-elle nécessaire ? Le divan de Constantinople, consulté à ce sujet, avait déclaré dès l’origine que le hatti-chérif de 1841 conférait au pacha le droit d’agir en cette occasion selon ses propres conseils. Par un firman daté du mois de novembre 1854, Saïd approuva donc la formation d’une compagnie universelle pour le percement, à travers l’isthme de Suez, d’un canal maritime accessible à la grande navigation ; la concession avait une durée de 99 années, au bout desquelles le gouvernement égyptien pouvait redevenir maître de ce grand ouvrage. Le vice-roi néanmoins jugea prudent d’insérer dans cet acte un paragraphe d’après lequel il se réservait d’obtenir l’autorisation expresse de la Porte ; les travaux seraient commencés aussitôt que cette condition serait remplie.

Les études préliminaires des ingénieurs avaient permis d’arrêter le tracé du futur canal et d’en calculer les dépenses probables. Chargé par le vice-roi d’aller en son nom s’entendre avec le sultan et ses vizirs, le promoteur de l’entreprise trouva le gouvernement impérial disposé à donner immédiatement le rescrit qu’on lui