Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’expulser les membres du meeting. D’après la loi anglaise, si des personnes assemblées dans l’un des parcs de l’état faisaient une manifestation politique contrairement à la défense des autorités, le gouvernement n’aurait pas le droit de les faire sortir ni de les arrêter en masse. La police n’est autorisée en cas pareil qu’à se saisir de chaque individu pris en contravention, à le conduire jusqu’à une des grilles du parc en ayant bien soin de ne lui faire aucun mal, et là à le prier de sortir ou à l’y obliger après lui avoir demandé son nom et son adresse, afin que dans l’hypothèse d’une déclaration sincère on puisse envoyer le lendemain au délinquant une assignation à comparaître devant une cour de police. Il est bon de remarquer que cette mesure n’empêche nullement L’individu expulsé avec tant de cérémonie par une grille de rentrer par celle d’à côté. Appliqué à cinquante mille personnes, ce procédé n’aurait pas plus d’efficacité que celui par lequel on tenterait de chasser sans violence et sans bruit du jardin des Tuileries plusieurs essaims d’abeilles. N’importe telle est la loi, the law of England, comme disent fièrement les Anglais, et le fait est que le respect de cette loi, respect dont le gouvernement avait le premier donné l’exemple, a été, par une sorte de convention tacite entre lui et ses adversaires, une barrière plus forte contre l’émeute et le désordre que n’auraient pu l’être les mesures les plus draconiennes. Malheur au premier des deux partis qui franchirait cette barrière : c’est sur lui que retomberait la plus lourde des responsabilités. On comprend aisément que le ministre, M. Walpole, voulant rester sur le terrain du droit, ait reculé devant l’application d’une loi évidemment inexécutable ; on comprend moins qu’il ne se soit aperçu de cette impossibilité qu’après avoir publié sa proclamation, et qu’il ne se soit avisé de présenter une loi nouvelle au parlement que lorsqu’il était trop tard. Après ce pas de clerc, M. Walpole devait nécessairement quitter le ministère. Sa démission ainsi amenée nous a donné la curiosité de connaître quelques traits de la physionomie de ces hommes qui par leur invincible persistance et leur inflexible volonté avaient fait battre en retraite le cabinet tory et la puissante aristocratie qui le soutient. Ces deux chefs victorieux sont M. Beales et M. Bradlaugh.

M. Beales est un homme de loi assez âgé, à la barbe blanche et à la physionomie intelligente. Il exerçait un emploi public lucratif, celui de revising barrister pour le comté de Middlesex, lorsque le rôle qu’il prit comme chef de la ligue de la réforme le força de renoncer à sa charge. Son activité est merveilleuse ; durant plusieurs mois, les journaux anglais ont été remplis de ses lettres et de ses manifestes ; il est en correspondance suivie avec toutes les sociétés