Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certaines machines, que cette association, fondée en 1851, avait dans l’espace de quinze ans distribué en secours de différentes natures, et surtout pour soutenir certaines grèves, la somme de 484,717 liv. sterl. (plus de 12 millions de fr.). Malgré une pareille dépense, cette société, composée à la fin de 1865 de 30,984 membres, possédait à cette époque une réserve d’environ 3 millions de francs. Si l’on considère le nombre toujours croissant de ces trades’ unions, qu’on assure se composer en totalité de 800,000 ouvriers, on comprendra que leur action peut devenir irrésistible. Fortement organisées, voici comment elles procèdent pour agir de concert. D’abord chaque métier forme un corps distinct dans les différens centres de population, puis ces divers groupes se relient par des délégués hiérarchiquement constitués, et dont la hiérarchie aboutit à un pouvoir central siégeant à Londres et appelé l’exécutif. On comprendra la force immense de cette armée innombrable de travailleurs auxquels les lois fondamentales du pays assurent à la fois, par le droit illimité de réunion et par la liberté de discussion, une faculté d’action commune et simultanée. Couvertes au dehors par les garanties constitutionnelles du pays, asservies dans leur régime intérieur au pouvoir discrétionnaire que leurs chefs se sont arrogé, ces sociétés profitent ainsi tout ensemble des avantages de la liberté et de ceux de la tyrannie, et si leurs guides tout-puissans avaient été plus sages, elles auraient fini par exercer en Angleterre une irrésistible prépondérance ; mais bientôt des querelles de plus en plus, fréquentes s’élevèrent entre les ouvriers et les patrons. Les longues grèves, si contraires à la prospérité industrielle du pays, si peu patriotiques, puisqu’elles avaient pour résultat de porter à l’étranger les commandes et de faire déserter le marché national par les acheteurs, se reproduisaient à des intervalles de plus en plus rapprochés, et le bruit courut dans le public que les caisses de secours mutuels, au lieu de s’ouvrir uniquement pour le soulagement des souffrances, servaient à alimenter le feu de la discorde.

Cependant ces nouvelles associations étaient peu connues, et si elles eussent moins fait parler d’elles, il est probable que pendant des années encore elles auraient pu s’étendre et grandir. C’est un procès pour une affaire d’argent qui attira d’abord l’attention sur elles, et c’est un vice de la législation anglaise qui les amena à se constituer en sociétés secrètes.

Lorsque, dans un pays on a sous les yeux le spectacle affligeant d’une portion considérable de la nation obligée d’avoir recours au mystère pour défendre ses intérêts et pour conserver ses biens, on est naturellement porté à se dire que la liberté dans ce pays n’est pas complète ni égale pour tout le monde, et que la classe réduite