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pressentiment ; il n’y prit aucune part directe et active, mais il en reconnut sans hésitation la nécessité, et quand elle fut accomplie, toujours d’accord avec ses amis politiques dans leurs diverses nuances, depuis le duc de Broglie et moi jusqu’à M. Molé, il donna à la monarchie nouvelle sa ferme adhésion et son loyal concours.

Il entra alors dans la carrière que dès sa jeunesse avait souhaitée pour lui l’ambition de sa mère, et qui devait rester désormais la sienne jusqu’à la fin de sa vie publique. Le 28 octobre 1830, il fut nommé ambassadeur à Turin, poste plus important que grand depuis trois siècles pour la politique française, et qu’il ne quitta qu’en septembre 1835 pour le poste, plus grand alors qu’important, d’ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Ce fut ainsi auprès des deux cours les plus contraires au gouvernement du roi Louis-Philippe qu’il fut appelé à le représenter et à le servir. Par ses traditions légitimistes et absolutistes et par ses liaisons intimes avec l’Autriche, la cour de Turin, malgré sa réserve et ses fluctuations habituelles, était alors vouée à la méfiance et à l’hostilité envers le régime issu en France de la révolution de 1830, et l’empereur Nicolas, dans une boutade aussi obstinée qu’irréfléchie d’orgueil et d’alarme despotique, s’était comme voué lui-même à une relation malveillante et embarrassée avec le nouveau roi constitutionnel de la France. Par une conséquence naturelle de ces deux situations, M. de Barante n’eut pendant ses deux ambassades à Turin et à Saint-Pétersbourg point de lien politique à former, point de négociation importante à conduire et à conclure entre le gouvernement français et ces deux cours : maintenir avec elles, à travers les difficultés et les incidens de leur humeur, des relations régulières, pacifiques et dignes, telle était, à vrai dire, toute sa mission, et il s’en acquitta avec l’habileté prévoyante d’un esprit remarquablement juste, fin, sensible aux nuances, et la vigilance tranquille d’un caractère à la fois élevé et réservé. Je ne veux citer de sa correspondance diplomatique à cette époque que quelques traits qui mettent en lumière d’une part la constante convenance de son attitude, de l’autre sa pénétration et la justesse des informations qu’il transmettait à son propre gouvernement sur les dispositions et les vues de ceux auprès desquels il résidait.

Peu après son arrivée à Turin, au milieu des fêtes qu’y provoquait le mariage de la princesse Marianne, nièce du roi Charles-Félix avec le roi de Hongrie, il écrivit[1] au général Sébastiani, alors ministre des affaires étrangères : « La plus grande nouveauté de cette semaine, c’est un bal donné par la noblesse à la bourgeoisie

  1. le 29 janvier 1831.